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nous avons passés ensemble, je désire fort pouvoir savoir par lui ce que nous avons à faire dans la position actuelle. Vous lui montrerez l’extrême difficulté qu’il y a pour moi de communiquer avec qui que ce soit et les risques que vous courrez vous-même en vous chargeant de ma commission et que cela pourrait se renouveler. Je le prie donc, s’il veut me faire passer des avis, de choisir lui-même les moyens pour me les faire parvenir soit par écrit, soit verbalement…

« On ne peut pas rester comme l’on est ; il est certain qu’il faut faire quelque chose. Mais quoi ? je l’ignore. C’est à lui que je m’adresse pour le savoir. Il doit avoir vu, par nos discussions mêmes, combien j’étais de bonne foi. Je le serai toujours. C’est le seul bien qui nous reste et que jamais on ne pourra m’ôter. Je lui crois le désir du bien, nous l’avons aussi, et, quoiqu’on en dise, nous l’avons toujours eu. Qu’il nous mette donc à même de l’exécuter tous ensemble ; qu’il trouve un moyen de me communiquer ses idées ; j’y répondrai avec franchise sur tout ce que je pourrai faire. Rien ne me coûtera quand j’y verrai vraiment le bien général. Et surtout ni vexations ni poursuites particulières, ce que j’ai toujours eu en horreur comme je le lui ai dit… Je compte entièrement sur le zèle, la force et l’esprit de M. 2 : 1, non pas pour nous, — nos personnes s’entend, — mais pour l’Etat et la chose publique qui sont tellement identifiés avec la personne du Roi et de son fils qu’ils ne peuvent faire qu’un. C’est donc à l’homme qui aime le plus le peuple et sa patrie et à qui je crois le plus de moyens que je m’adresse pour sauver l’un et l’autre, car, encore une fois, ils ne peuvent être séparés. »

J’ai cité la presque totalité de la première lettre que reçut Barnave, parce que les intentions de la Reine et le but qu’elle poursuivait y sont nettement exposés. Avant de lui répondre, Barnave était tenu, et il le lui fit savoir, de consulter quatre de ses amis envers lesquels il s’était engagé à n’adopter aucun plan politique sans s’être mis d’accord avec eux. Ces amis étaient Duport Dutertre, le baron d’André, Mathieu Dumas et Alexandre de Lameth, tous membres de la Constituante et qui formaient avec lui ce qu’on a appelé le Comité des Cinq. C’est donc leur pensée collective qui est exprimée dans la réponse que la Reine ne tarda pas à recevoir.

Il y était dit que le Roi avait été longtemps trompé et qu’il s’était laissé entraîner à une suite de démarches dont la