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parlant en son nom et au nom de ses collègues, présenta au Roi resté en voiture le décret de l’Assemblée.

— Je suis bien aise de vous voir, messieurs, dit Louis XVI, après l’avoir lu. Je ne voulais pas sortir du royaume. J’allais à Montmédy où mon intention était de rester jusqu’à ce que j’eusse examiné et accepté librement la Constitution.

Mathieu Dumas raconte dans ses Mémoires qu’à ces mots, Barnave se pencha vers lui et lui glissa à l’oreille :

— Si le Roi se souvient de répéter la même chose, nous le sauverons.

Ce propos démontre qu’en acceptant la mission que lui avait confiée l’Assemblée, Barnave ne se proposait pas d’en tirer parti contre le Roi et qu’il était déjà résolu à lui venir en aide pour atténuer les conséquences de sa fuite. Il convient de rappeler cette disposition pour faire mieux comprendre ce qui allait se passer ensuite entre la Reine et lui.

Quelques instans après, la famille royale et ses gardiens prenaient la route de Paris. Barnave s’était placé dans le fond de la voiture entre Louis XVI et Marie-Antoinette ; Madame Elisabeth et Madame Royale sur le devant et Pétion entre elles. Quant au petit Dauphin, il allait durant le voyage passer tour à tour des genoux de sa mère sur ceux de sa tante ou de sa sœur ; Latour-Maubourg, Mathieu Dumas et la suite des souverains voyageaient dans une seconde voiture.

De ces divers personnages, il en est deux qui dans la circonstance nous intéressent particulièrement : c’est d’une part la Reine et d’autre part Barnave. Celui-ci entrait dans sa trente-et-unième année. Malgré sa jeunesse, il devait à la dignité de sa vie, à son éloquence persuasive quoiqu’un peu froide, à l’accent de sa parole qu’on devinait sincère et loyale, l’influence qu’il exerçait sur l’Assemblée et qui faisait dire de lui qu’il était le rival de Mirabeau. La Reine n’ignorait pas ses antécédens et, quoiqu’il fût le délégué de la Constituante et, à ce titre, presque un geôlier, elle ne pouvait le considérer comme un ennemi. L’ennemi était Pétion. A cette heure si douloureuse pour les prisonniers, il affectait vis-à-vis d’eux une rudesse âpre et dogmatique, qui touchait parfois à l’insolence et qui révélait, en même temps que la sécheresse de son cœur, la haine invétérée qu’il nourrissait contre les souverains. Barnave, au contraire, semblait compatir à leur infortune ; il multipliait les égards