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Bertrand, des grandes pages signées par Maurice Barrès, par Rosny. Car, pendant la sieste, on lit. Et on lit beaucoup plus qu’à Paris. On préfère s’instruire, à manier les cartes ou calomnier ses amis. C’est le miracle africain.

Chose merveilleuse, ces Latins dénigrent peu leurs émules. L’extrême valeur dos gouvernans, M. Merlaud-Ponty, M. Clozel, n’est pas contestée. M. Roume a conservé toutes les admirations de ses anciens collaborateurs. Les généraux Galliéni, Joffre, Archinard, Bonnier sont loués nettement. Et, contre nos parlementaires si foncièrement injustes pour l’œuvre de nos Africains, la critique n’est pas trop amère. « Que voulez-vous ?… Ils ne savent pas ! » aime-t-on répéter sur le ton de l’indulgence qui excuse, plutôt que sur celui de la sévérité qui s’indigne. Seul un acte parlementaire ne bénéficie pas de cette tolérance. Il n’est pas un poste de notre empire où l’on devine les motifs pour lesquels furent cédés aux Allemands le nœud orographique de la Sanga, sa houille blanche, le meilleur centre industriel de l’Afrique prochaine, et une des régions fructueuses de ce continent. Sénateurs, députés, ministres, n’avaient-il donc jamais lu les rapports du commandant Lenfant ? Eux non plus, « ils ne savaient pas ! » Il en est si peu qui savent, au Parlement de France !…

N’importe. On restaurera Carthage tout entière.

Dans le Sahara, le dromadaire ne marche-t-il pas droit, devant lui, jusqu’à l’instant de la mort ? Quand la fatigue l’a épuisé, il tend de plus en plus le cou, comme si la tête voulait entraîner le reste du corps encore plus loin ; mais le corps pèse et s’affaisse. Il ne se relèvera plus. Lorsque la caravane a défilé tout entière, lorsque le bruit familier s’amoindrit à distance, l’animal prend peur de la solitude. Une dernière fois il tend le cou vers la vie qui s’éloigne. L’effort est vain. Alors le méhari résigné pose sa tête lasse sur le flanc ; et, doucement, il expire. Le fidèle serviteur disparaît sans murmure, puisque son œuvre continue.

On trouve aussi parfois, dans le sable, un Maure en posture du salam que l’air sec a momifié, près de son chameau à terre. Ayant perdu la route du puits, ils se sont l’un et l’autre remis entre les mains de la fatalité divine, sans révolte.

Que de captivantes histoires dites ainsi, autour de cette table française, par les matins ardens de Tombouctou !