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Renoncer au pillage si juste qu’il paraisse d’après la coutume du désert. Renoncer aux profits de la bataille, en dépit de toutes les idées sahariennes. Combattre pour l’honneur, et la pure grandeur de la loyauté. Avant qu’il sache si ces néophytes lui seront fidèles ou hostiles, ce lieutenant s’en ira seul au milieu d’eux, dans les contrées arides. Là, sans témoins, il poursuivra quelques cousins de ces méharistes ayant dévasté un village de notre protectorat. Sera-t-il assassiné en route par son goum ? Ou bien abandonné, devant l’ennemi, comme il est advenu à Rossi et à Lelorrain ? Il se peut. « En tout cas, ajoute le lieutenant, personne ne saurait dire que je fais ça pour avoir la croix. Je l’ai. Ni pour décrocher le troisième galon. Je suis au tableau d’avancement parmi les premiers noms. Personne ne saurait dire que je fais ça pour un avantage… Hein ? » Et tous de l’approuver en souriant.

Et vous considérerez cet admirable cavalier qui eût pu, à son gré, vivre dans une garnison de France, participera tous les luxes, à tous les plaisirs raffinés du monde ; car il joint à la franchise de sa parole, et à l’évidence de sa bravoure, les façons d’un homme fort distingué. Non. Au milieu de ses barbares dont il a sans doute obtenu la confiance en soignant, d’abord, leurs sales maladies, en partageant leur existence malpropre et hostile, le lieutenant Bœswilwald a réalisé son vœu. Escaladant, par la jambe de derrière, la bosse de son méhari, sans le faire agenouiller, afin de montrer à ces chameliers par atavisme son excellence d’instructeur légitime, il a parcouru les espaces aveuglans du désert. Il a bu l’eau rare et magnésienne des puits où flottent des animaux noyés. Il a bu le dernier, afin de faire comprendre son caractère de chef qui sait dominer ses propres instincts au bénéfice de tous. Peu à peu, sa supériorité, dans les vertus mêmes du Berbère et du Maure, s’imposera. Le lieutenant offrira bientôt à son pays une troupe nouvelle, capable de servir au mieux, de faire plus latin l’empire antique et sablonneux de Carthage.

Ce jeune homme espérait cela, devant cette table lumineuse et fleurie dans l’ombre fraîche ; pour le seul plaisir d’être estimé par ses camarades et son colonel, pour être utile à la nation.

Un autre parla. Il a fait la guerre de Crète contre les Turcs, celle de Chine contre les Boxers. Il a traversé les Indes au retour, accumulant les observations de l’artiste, de l’économiste,