Page:Revue des Deux Mondes - 1914 - tome 19.djvu/116

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

multitude réalise une sorte de communisme mutualiste qu’on déclare impossible dans nos parlemens. Les Kondey-di-yo (les compagnons) associés, par quarante, au lendemain de leur circoncision, se rendent la justice, s’aident et s’assistent selon un statut fixe que maintient une hiérarchie de personnages, en cela supérieure aux distinctions de castes. Un fonctionnaire de Tombouctou, érudit observateur, qui renseigna bien M. Félix Dubois, M. Dupuis, a scrupuleusement observé les coutumes de ces associations. D’abord les différences d’origine y sont effacées. Un noble arma obéit à son supérieur songaï ou mandingue, à un vil galibi, arnère-petit-fils de captifs. Un alfa, très fier de son grand savoir coranique, de sa renommée d’écrivain ou d’avocat-conseil, assemblera les briques ovales d’une nouvelle demeure nécessaire a tel de ses camarades nègres. Et cela d’après la décision de l’Askéou, chef si révéré qu’il ne s’abaisse pas jusqu’à parler lui-même ; mais le fait par l’entremise du Basouda (l’orateur). Telles et telles maisons neuves de Tombouctou furent bâties par des coopératives qui souvent, obligent leurs membres de substituer à leurs huttes ces maisons, ces petits hôtels en banco avec terrasse. Pour cela, les Kondey se réunissent le jour convenu, prêts à leurs lâches de porteurs d’eau, de gâcheurs de terre, de maçons, de crépisseurs, de charpentiers, de musiciens et de chanteurs rythmant les efforts du travail ; tandis que les jeunes filles dansent pour la joie des yeux. De pareilles mutualités existent parmi les femmes. Chacun de leurs groupes correspond aux coopératives des hommes, qui ratifient, ou non, les projets de ces dames. En cas de labeur commun, elles offrent le tabac, les colas, le couscous.

Cette égalité relative entre les deux sexes, si contraire aux mœurs des Africains, semble le résultat de l’influence Targui et Maure. Chez ceux-ci, les épouses ont l’importance, la culture littéraire, la direction morale des enfans, le soin de leur enseigner. Chez eux, le ventre anoblit. L’enfant d’un Maure et d’une négresse compte pour peu de chose. Le fils d’un nègre et d’une Maure jouit de tous les droits, dans la tribu de sa mère. Les sociétés de femmes se développent, à Tombouctou, comme les sociétés d’hommes, et sous une pareille hiérarchie, depuis que des mariages fréquens unirent les personnes de castes différentes, des Armas ayant été ruinés, des Galibi enrichis. Les épouses désignent une arbitre, l’Ashakoum, comme leurs maris