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temps, eux et leurs troupeaux, autour de la ville. Bien que la plupart de leurs tribus nous soient soumises, il en est de dissidentes. Les Maures de l’Azouad peuvent, un beau jour, à la voix d’un apôtre congénère rencontré dans leurs excursions aux salines de Taoudéni, nous exécrer, puis nous assaillir. Comptant leurs planches de sel en losanges bien décorés, historiés de signes et de caractères, ils semblent en général pacifiques au milieu de leurs beautés sémites qu’on appellerait Myriam, ou Judith, ou Salammbô, volontiers. Elles sourient entre leurs tresses, debout devant les tentes noirâtres, devant les cases de nattes. Les antinoüs et les satyres de leurs familles vous regardent en faisant le salut militaire malicieusement. Siéra-t-il de se fier davantage aux Touareg accroupis dans leurs braies, le front rasé, sous les arceaux de leurs dômes en paillassons ? Leurs captifs Bellas, qui mènent les chèvres et les moutons vers les pâturages voisins du Niger, ont toujours combattu dans leurs rangs ; et avec furie.

Ici, vraiment, ces peuplades ne manifestent pas la joyeuse déférence que nos Africains d’ailleurs nous prodiguent. Dans ces faubourgs de ruches, où les Songaïs tissent les bandes indéfinies de leurs étoffes, dans ces maisons de banco où les descendans armas des Berbères tripolitains qui fondèrent l’empire de Gao travaillent le cuir, brodent les sachets à gris-gris, les bottes, sandales, babouches et harnais, avec des soies multicolores, dans ces rues où les enfans des lettrés Alfa apprennent le métier manuel de tailleur, celui de leur caste, avant de former leur esprit de jurisconsultes et d’imans, dans les quartiers arabes où les Kountas-Bekkaï, qui se flattent de nommer le Prophète en leur ascendance, causent dédaigneusement : partout, les mines signifient la crainte soumise ou l’ironie tacite du vaincu au passage du conquérant.


VI. — LE COMMUNISME ET LE MUTUALISME A TOMBOUCTOU

De notre administration, cependant, toutes les castes nobles, Chorfa, Alfa, Arma, ainsi que les noirs Galibi, reconnaissent les bienfaits. La ville n’est plus en ruines comme nous la trouvâmes, comme M. Félix Dubois la décrivit. On a relevé les murailles d’argile, recrépi les façades obliques, replacé les portes massives, moulé savamment les obélisques et les merlons