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batailles. Il y a des coups qui portent d’une manière malheureuse !

Le brave homme ! Il avait vraiment du chagrin dans la voix. Et je rencontre beaucoup de collègues de son espèce. Ah ! nos églises, on les aime bien au Palais-Bourbon. On les aime presque trop. Je commence à en avoir le frisson. Je pense quelquefois à une troupe de blancs tombés aux mains d’une tribu anthropophage. On les nourrit fort bien et même on les engraisse ; un jour, ils sauront pourquoi ! Toutes ces semaines, dans les couloirs, devant les photographies de belles petites églises rurales que je montre, je vois une quantité de gens aux yeux brillans qui se lèchent les babines ! Je me demande avec inquiétude si ce n’est pas pour les manger.

L’autre jour, un radical-socialiste m’écoutait avec bienveillance.

— Soit ! me dit-il, j’accepte que la commune et l’État se préoccupent d’assurer la vie de l’édifice religieux, mais j’y mets une condition. L’église entretenue par la collectivité doit devenir la maison de la collectivité. Il faut que dans nos villages, une fois les cérémonies cultuelles accomplies, elle soit à la disposition des sociétés.

— Quelles sociétés, grand Dieu !

— Les sociétés philanthropiques et autres d’un caractère élevé. En Alsace, vous avez des églises qui servent tour à tour aux catholiques et aux protestans. Et voyez ! les gens de Bâle invitent notre collègue Jaurès à parler dans leur cathédrale.

— Jaurès dans l’église du village ! J’aimerais mieux qu’elle s’écroulât.

Mon radical eut un cri de triomphe :

— Ah ! vous voyez, vous apportez dans la question une préoccupation confessionnelle.

— Non, je refuse simplement d’organiser la guerre civile au village.

Et j’aurais pu ajouter : introduire l’antichristianisme dans nos églises, c’est les vouer à la mort. Des antichrétiens détestent le sens même de nos édifices religieux. Ils tendent fatalement à les modifier. Qu’on leur livre Notre-Dame de Paris, Chartres, Amiens, Reims et Beauvais pour y installer la déesse Raison, ils auront tôt fait par une suite de mesures, à leurs yeux les plus utiles et les plus convenables, de dénaturer ces hautes nefs où, dans chaque détail, ils trouvent marquée et proclamée