Page:Revue des Deux Mondes - 1914 - tome 19.djvu/107

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

verdies à la crête, de-ci, de-là, par des arbustes poussiéreux.

L’ambre pâle du sable, et le bleu pur du ciel tracent, au bout, la courbe de l’horizon, que les épineux, tout là-bas, roussissent.

Les méharistes s’avancent en une file, au pas allongé de leurs bêtes dont la patte fendue plonge et s’étale. Masqués par le fez et le litham, enveloppés par la djellaba à raies brunes et à capuchon, ces hommes semblent de redoutables fantômes. Impression qu’accroît le silence relatif de la caravane marchant, par foulées sourdes, dans le moelleux du sol. Eux-mêmes se suivent, solennellement et sans bruit, les animaux de bât portant la corde à puits en peau de bœuf, la viande boucanée dans des sacs de cuir, l’eau dans les barils quadrangulaires en tôle d’acier revêtue de chanvre, et qui contiennent quarante titres. Le goum d’auxiliaires maures enturbannés a, sur chaque méhari, un fantassin en croupe, invisible presque toujours. Celui-ci glisse à terre, dès l’instant du combat, se cache, rampe. Il peut, avec ses camarades, opérer une manœuvre tournante, puisque souvent ils n’ont été aperçus ni comptés par les éclaireurs de l’adversaire. Plus sombre sur l’arène plus claire, la troupe va, se dissimulant au fond des creux, des vallons, que les dunes laissent entre leurs éminences. Contre la soif, chaque tirailleur a, sur le chameau, deux peaux de bouc, ou guerbas, pleines d’eau. En long parcours, la perte par évaporation est d’un tiers ; mais, en 60 heures de tornade, un escadron a perdu 6000 titres par exosmose hors des outres, par évaporation.

Il importe alors de provoquer les récits d’un officier commis naguère à la garde vigilante de la grande caravane annuelle qui part, en novembre, vers le Nord, pour acquérir, de Taoudéni, la provision de sel saharien, et qui la rapporte vers juillet sur les bords du Niger. Il faut entendre le lieutenant Galet-Lalande, remarquable organisateur d’escadrons méharistes, conter la poursuite d’un rezzou targui entraînant quelques centaines de chameaux volés à des tribus sédentaires amies de notre drapeau. Une lutte de vitesse s’engage qui doit épuiser les bêtes déjà fatiguées des pillards. Bientôt ils laissent quelques-unes en arrière : d’abord ces chamelons semblables aux jouets de bois mal articulés, puis les chamelles pleines, enfin les méharis de selle dont beaucoup furent éventrés au moment de leur défaillance afin qu’ils ne pussent servir désormais. De temps en temps