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De là débouchent les méharistes et les tirailleurs quand ils vont en reconnaissance aux environs de Tombouctou. Il est émouvant de les suivre. Du haut du dromadaire qui, devant vous, allonge son col de cygne géant, sa tête dédaigneusement lippue, le touriste se trouve bien, si la « rallah » fut choisie de telle sorte que notre posture européenne s’y puisse conformer.

La troupe foule, vers le Nord, une large avenue sablonneuse longeant, à droite, la vieille mosquée. A gauche, les jardins potagers apparaissent que, près du puits, l’on cultive. De son entonnoir verdoyant débouchent, en files, les porteurs d’eau pliant sous le faix de l’outre, et les jeunes filles à demi nues, droites sous les calebasses, sous les cratères remplis. Ces corps de bronze, au petit jour, font de belles silhouettes sur le fauve du sol onduleux. La paille des clôtures protège les faubourgs de grosses ruches. C’est une image en noir, fauve et or, puisque le soleil, déjà, par-dessus la ville encore obscure, darde ses rayons sur les pointes des chaumières.

La taille des méharis permet que le regard plonge, et qu’il aperçoive la vie matinale du faubourg, les mères et leurs marmots innombrables, la traite des chèvres blanches, les vierges pilant le mil. Assis dans la fosse que surmonte un bâti de branches sèches où pendent les fils verticaux de la chaîne rejointe au milieu par la trame horizontale, des tisserands travaillent des mains, des pieds en association. Ailleurs les chameaux agenouillés barissent furieusement vers le conducteur crépu qui les veut mener à l’abreuvoir. A distance de votre cortège, cavalcade et caravane à la fois, les gamins se rangent immobiles, graves. Cependant ils admirent le galop de l’interprète. Ce personnage enturbanné, barbu, fustige son petit cheval embrouillé dans la crinière, dans la queue flamboyantes. A droite les ruelles dégorgent les cortèges des lavandières allant, le linge sur la tête et les nourrissons à l’échine, vers la mare.

Passé le faubourg en tumulte, les chaumières coniques des nègres, enfin les arceaux à paillassons des Touareg, parmi les chèvres, les dromadaires et leurs guerriers debout, voilés, deux lances au même poing, on s’enfonce aussitôt dans le sable plus meuble des dunes.

Houles immenses d’un océan à peine figé. L’air soulève les poudres superficielles. Houles immenses, blondes et fauves, mal