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confiance. Au contraire des Sénégalais, des Soudanais, les habitans, ici, paraissent farouches. Ils se dérobent à la curiosité la plus furtive, derrière la natte qui masque l’huis, derrière le treillis de bois qui ferme la lucarne. C’est toujours une ville de menaces et de complots. Ville de mystères et de secrets. Ville d’ennemis appréhendant les revanches, et de spéculateurs dissimulant leurs transactions. Ville de marabouts entretenant la haine des fanatiques, et ville d’hétaïres abritant la honte de leurs visiteurs dévots. Ville de meurtres subits et de diplomatie sournoise. Ville de maîtres variables et de sujets grondans. Ville de révolte latente et de répression féroce. Ville où s’étreignirent, dix siècles, tantôt pour s’aimer, tantôt pour se détruire, les races blanches de la Méditerranée et les races noires du Soudan. Ville où elles s’accouplèrent et se métissèrent dans l’ombre des tentes, des cases et des maisons, parmi les énigmes et les trahisons de l’amour. Ville de luxure récompensant les longues souffrances des caravanes, et ville de piété réconfortant la foi des vaincus. Ville de thésauriseurs comptant leurs monnaies du soir, et ville d’ambitieux combinant les intrigues de la nuit. Ainsi Tombouctou apparut-il à nos marins flânant par les rues sablonneuses entre les façades à merlons d’argile, le long des murs flanqués de fours à pains. Qu’ils heurtassent aux portes jadis entamées par la lance du Targui réclamant d’un hôte craintif l’accueil le plus généreux, qu’ils appelassent sous les moucharabiehs des demeures marocaines, qu’ils s’attardassent sous l’entablement des porches, et sous les caractères arabes des mots sacrés, personne d’abord ne sortit volontiers des maisons blondes, hermétiquement closes, entre leurs obélisques de banco. Seuls nos soldats marchaient dans le scintillement du sable, sous l’éblouissement du ciel que cernaient les façades aveugles, les maisons muettes, les terrasses vides.

Ce calme lugubre ne fut troublé que par les cris de ceux qui entendaient, au dixième jour, les échos de la fusillade : « Our, Ouma ira ! » Il fallut courir jusqu’aux Touareg approchant les cadavres de l’enseigne Aube, du quartier-maître Le Quellec, de leurs laptots.

Le lendemain, il fallut faire tonner les deux canons sur les cavalcades surgies, autour des campemens. Et puis tout retomba dans le silence, le mystère, et le secret habituels. Sur le grand et le petit marché seulement il y eut quelques