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tradition abolie, il constate que la Révolution a échoué dans son œuvre politique, mais il reconnaît que son œuvre sociale a réussi : elle a établi l’égalité.

La partie la plus originale de ce livre est celle où Anatole Leroy-Beaulieu expose « les mécomptes du libéralisme ; » on l’y sent partagé entre son penchant théorique pour le « libéralisme » et la constatation loyale de certaines de ses conséquences. Le libéralisme, — c’est la définition qu’il en donne, — a prétendu résoudre toutes les questions au moyen de principes abstraits ; il a été » rationnel, spéculatif, idéaliste, optimiste même ; » il a voulu faire tout découler de deux principes : liberté, égalité. Partout il a éprouvé des mécomptes. « L’essence du libéralisme moderne, c’est d’être rationnel avant tout ; » or, il est impossible de plier le monde « aux déductions absolues de la raison abstraite et du droit spéculatif. » De là maintes désillusions. La démocratie, issue de lui, s’est retournée contre lui ; elle ne s’est pas contentée des solutions libérales, elle a fait appel à la loi ; elle est restée « éprise des maximes abstraites et absolues du rationalisme politique, » mais la notion d’égalité est passée au premier rang. « Ce besoin de liberté, qui répond aux plus nobles instincts de l’esprit, était moins fort que le goût d’égalité qui flatte les moins nobles. La notion de liberté s’est étendue au domaine social et elle a signifié « affranchissement du joug de la pauvreté et du travail. » L’idée de « liberté, » le sens du mot « libéral, » ont été faussés. La démocratie a été ainsi, pour le libéralisme, une cause de perversion.

Dans quatre domaines le libéralisme a prétendu appliquer ses solutions, partout les résultats ont été contraires à ceux qu’on avait espérés.

Mécomptes politiques. Le libéralisme prétendait transporter le gouvernement de la nation à ses élus ; on pensait qu’ainsi le gouvernement deviendrait plus national et plus compétent. On a eu le règne des partis, une moitié de la nation foulée et opprimée par l’autre ; la politique est devenue un métier où réussissent souvent les plus médiocres et les moins scrupuleux. La multitude ne comprend pas la liberté ; « elle identifie la liberté avec le pouvoir, et, s’imaginant être libre dès qu’elle peut tout, elle traite en ennemis de la liberté les hommes assez osés pour braver sa puissance. »La liberté ne saurait résulter non plus des groupemens locaux ou corporatifs, car, « ce néo-fédéralisme