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Donaueschingen, mais il ne les a pas acceptées et le statthalter est revenu avec le général à Strasbourg, en apparence réconciliés. Quant au chancelier, bien que le discours qu’il vient de prononcer sur la politique extérieure montre que, dans des questions qu’il connaît bien et où il est à son aise, il n’a rien perdu de la fermeté de sa pensée, sa situation sera peut-être, pendant quelque temps, rendue plus difficile au Reichstag. Les conservateurs ne lui pardonnent pas d’avoir donné une constitution à l’Alsace-Lorraine, ce qui est pourtant une de ses œuvres les plus méritoires, quelque insuffisante qu’elle soit. Il a affirmé qu’il restait fidèle à sa politique. On relève dans ses discours des phrases qui lui font honneur, celle-ci par exemple : « Je suis convaincu que l’Alsace-Lorraine ne pourra progresser que si on renonce à transformer des Allemands du Sud en Allemands du Nord et en Prussiens. » Ses intentions ont toujours été bonnes : pourquoi faut-il qu’elles soient déjouées par des incidens qu’on laisse avec une si lourde maladresse tourner en tempêtes ?

Celui de Saverne ne sera pas oublié de sitôt en Alsace-Lorraine, bien que l’Empereur se soit efforcé de le clore par la mesure dont nous venons de parler. Le lieutenant de Forstner est parti avec ceux qui ont cru devoir le défendre. Le bruit court qu’à peine commencée, sa carrière serait fortement compromise, peut-être brisée. On n’en demandait pas tant à Saverne, mais à mesure que le cas s’est aggravé, il a fallu y apporter des sanctions plus rigoureuses. Si on avait fait dès la première heure une partie seulement de ce qu’on fait à la dernière, l’incident serait passé presque inaperçu, comme tant d’autres. On n’aurait pas eu la séance du Reichstag, ni le précédent politique qu’elle a créé. On n’aurait pas agité, inquiété, énervé l’Allemagne, ni donné au reste du monde un spectacle déconcertant. Le gouvernement impérial a sans doute de grandes qualités politiques : il lui en manque une toutefois, et non la moins précieuse, celle qui consiste à fake les choses au moment opportun. On s’en aperçoit, maintenant que les fumées de l’orgueil militaire sont tombées, mais n est un peu tard : l’incident de Saverne a pris place dans l’histoire et le vote du Reichstag y restera attaché.

Francis Charmes.
Le Directeur-Gérant,
Francis Charmes.