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Deimling, commandant le corps d’armée de Strasbourg, couvrait le colonel de Reutter, que le ministre de la Guerre couvrait le général de Deimling, le Reichstag, qui représente l’opinion du pays, éprouvait un sentiment voisin de l’humiliation et l’exprimait avec force. Il se demandait ce que deviendrait, le lendemain d’un incident comme celui de Saverne, l’œuvre de pacification entreprise en Alsace-Lorraine et qui y fait d’ailleurs si peu de progrès. Un membre du Reichstag, qui a été quinze ans professeur à Strasbourg, a touché vivement l’assemblée en disant que, pendant tout le temps de son professorat, il s’était appliqué, par son enseignement, à calmer les esprits et à apaiser les cœurs. Tout cet effort, s’est-il écrié, est désormais en pure perte ! On a bien voulu reconnaître que la presse française, quels que fussent les sentimens intimes qu’elle éprouvât, en avait contenu l’expression avec beaucoup de dignité ; mais il faut convenir que cela lui était facile et qu’elle n’aurait pu faire ni mieux, ni plus que les autorités militaires allemandes, si elle s’était expressément proposé d’entretenir au cœur de nos provinces perdues des protestations indignées.

L’empereur Guillaume ne s’est pas mépris sur ce que cette situation aurait d’inquiétant si elle se prolongeait. L’Allemagne n’est pas un pays parlementaire et il s’en faut de beaucoup que le Reichstag y ait la même importance qu’a chez nous la Chambre des députés ou en Angleterre la Chambre des Communes : cependant une manifestation comme celle qu’il vient de faire, qui était impossible autrefois, ne saurait aujourd’hui y être considérée comme négligeable. Dans une séance ultérieure, le chancelier a eu l’occasion de reprendre la parole et, répondant aux socialistes qui voulaient établir sa responsabilité vis-à-vis du Reichstag, il a revendiqué les droits intangibles de l’Empereur et affirmé qu’il n’y laisserait pas porter atteinte. C’est un air connu, une fanfare obligatoire. L’Empereur est tout et le Reichstag peu de chose, soit, il n’y a aucun inconvénient à ce qu’on le répète une fois de plus, à la condition cependant que l’Empereur tienne compte du sentiment du Reichstag. Or, qu’est-il arrivé ? La garnison de Saverne a quitté la ville et a été envoyée dans un camp d’instruction. Et comment cela est-il arrivé ? L’Empereur était absent de Berlin ; il était à la chasse à Donaueschingen, où il a appelé à la fois le chancelier, le statthalter d’Alsace-Lorraine et le général commandant le corps d’armée de Strasbourg. Un désaccord entre eux avait, semble-t-il, rendu difficiles les rapports des deux derniers. On assure que des démissions ont été données à l’Empereur dans les conversations de