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radicaux aux leurs et qu’ils ne pouvaient pas s’associer à une politique qui y était contraire. En sortant de l’Elysée, M. Doumergue était allé prendre les conseils de M. Combes et de M. Clemenceau : singuliers patrons pour un ministère dont auraient fait partie M. Ribot et M. Dupuy ! Ceux-ci d’ailleurs ne pouvaient se méprendre sur la signification qu’aurait un ministère dans lequel M. Caillaux entrait. Sous le couvert du nom de M. Doumergue, ce ministère sera en réalité le ministère Caillaux et la présence de celui-ci aux Finances en faitle ministère de l’impôt sur le revenu, avec la déclaration obligatoire, contrôlée Dieu sait comment ! C’est une habitude prise entre collègues, dans les relations parlementaires, de donner à celui qui vous offre un portefeuille, quand on le refuse, non pas les raisons déterminantes de ce refus, mais les moins désobligeantes qu’on peut imaginer. MM. Ribot et Dupuy n’ont pas manqué à cette règle protocolaire. Ils auraient pu dire plus simplement aux radicaux : — Vous avez refusé de collaborer avec nous, pourquoi voulez-vous que nous collaborions avec vous ? C’est vous qui avez mis la France, par des fautes accumulées, dans la situation lamentable où elle est aujourd’hui ; nous étions prêts à essayer de l’en tirer, vous voulez l’y enfoncer encore davantage par de prétendus remèdes qui sont pires que le mal : comment avez-vous pu compter sur nous pour prendre, dans cette œuvre néfaste, une responsabilité qui ne doit appartenir qu’à vous ? — Ce langage aurait été sincère, mais M. Ribot et M. Dupuy ont beaucoup trop la politesse parlementaire pour l’avoir tenu : ils n’avaient d’ailleurs pas besoin de le faire pour être entendus.

On comprend que les radicaux auraient été heureux de pouvoir se couvrir du côté de l’Europe par la haute personnalité de M. Ribot. Ils ont beau passer leurs troupes en revue, ils n’y trouvent pas un ministre des Affaires étrangères. En désespoir de cause, M. Doumergue s’est dévoué à en jouer le rôle. Nous le plaignons, car il ne se doute pas de ce qui l’attend. La situation de l’Europe aujourd’hui exige la présence au quai d’Orsay d’un ministre qui la connaisse à fond, qui n’ait pas tout un apprentissage à faire, qui soit doué de l’esprit diplomatique et versé dans la pratique des affaires. M. Doumergue est un novice. Les journées seront courtes pour lui s’il veut se mettre au fait de tout ce qu’il doit savoir. Et il est en outre président du Conseil, cela fait frémir ! Où trouvera-t-il le temps de suffire à sa double tâche ? Quand le ministère Barthou s’est constitué, il fallait un financier aux Finances, on y a mis M. Dumont ; quand le ministère Doumergue se constitue, il fallait aux Affaires étrangères