Page:Revue des Deux Mondes - 1913 - tome 18.djvu/955

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

réforme. M. le Président de la République a pense que l’homme le mieux à même de réussir dans cette tâche était M. Ribot et il l’a chargé de former le Cabinet. Sa santé, qui a besoin de ménagemens, aurait permis à M. Ribot de se récuser, s’il n’avait écouté que ses convenances personnelles ; mais on faisait appel à son dévouement ; c’est un genre d’appel qu’il a toujours entendu. Bien qu’il ne se dissimulât pas les difficultés qu’il devait rencontrer, il n’en connaissait pas encore toute l’étendue : pour se renseigner à ce sujet à la meilleure source, il s’est adressé à M. Caillaux, que le Congrès de Pau a sacré le chef du parti radical-socialiste unifié. C’est un parti exigeant entre tous que celui-là : il a l’habitude d’avoir des chefs qui le suivent et son effort principal dans ces derniers temps a eu pour but de se donner une discipline sévère que doivent suivre également le général et le dernier soldat. Dès que la crise a été ouverte, le parti s’est réuni. Le siège de ses réunions est rue de Valois : de là l’appellation de parti de la rue de Valois ou de parti valoisien qui lui a été donné. Les clubs de la Révolution tiraient eux aussi leur nom du local où ils se réunissaient ; on avait alors le club des Jacobins, ou des Cordeliers, ou des Feuillans, et ce n’est pas la seule analogie entre la réunion de la rue de Valois et les clubs révolutionnaires d’autrefois. Là tous les membres du parti doivent venir prendre le mot d’ordre, là ils doivent rendre compte de tous leurs actes, là ils sont approuvés ou condamnés, là enfin s’élaborent les résolutions destinées à devenir la loi de tous. C’est une nouvelle, ou, si l’on veut, une ancienne manière, à laquelle on retourne, de comprendre le gouvernement parlementaire. La Chambre des députés est une assemblée où l’on parle, le club de la rue de Valois en est une où on agit. Ce qui s’y est passé était facile à prévoir. Le parti radical-socialiste a été, on peut le croire, enivré du succès inespéré qu’il venait d’obtenir : aussi la rue de Valois a-t-elle décidé qu’il devait être le pivot de la combinaison nouvelle et qu’il ne prêterait son concours qu’à un ministère présidé par un de ses membres. M. Ribot avait quelque raison de s’en douter, mais il a voulu, comme on dit, en avoir le cœur net : c’est pourquoi il a prié M. Caillaux de venir causer avec lui. On ne saurait trop apprécier la loyauté de M. Caillaux : il a déclaré sans ambages à M. Ribot que le parti radical-socialiste ne lui donnerait pas son concours, qu’aucun de ses membres n’entrerait dans un ministère présidé par lui, et que, dès le lendemain de sa constitution, il serait interpellé sur sa politique générale, notamment sur sa manière de concevoir l’impôt sur le revenu : cette manière, comme tout le monde le sait, est celle du Sénat ; elle a