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appelé dans cette ville, cela dit en grand secret ! A Paris, il souffre et s’ennuie « indescriptiblement. » Le fait est que « les choses y vont avec une lenteur extrême, et rien à espérer de la composition, aussi longtemps que l’on n’est point connu ! » Mais le jeune homme « jure sur son honneur que, avec toute la tristesse de sa situation présente, il n’y a rien qui l’afflige autant que son impuissance à servir ainsi qu’il le voudrait la famille de ses amis. » Quant à la lettre italienne qui suit, — la seule lettre d’amour que nous connaissions parmi toutes celles qu’a dû écrire un poète dont on a dit qu’il était amoureux presque dès le berceau, — en voici tout au moins la dernière partie :


Ma très, très chère amie ! J’espère que ma lettre vous trouvera en excellente santé. Je vous supplie de prendre toujours soin de cette santé, qui est la chose la plus précieuse au monde. Quant à moi, grâce à Dieu, je vais bien touchant ma santé, attendu que d’elle je ne me soucie pas. Mais je n’ai pas l’âme tranquille, et jamais je ne l’aurai jusqu’à ce que j’aie éprouvé la consolation d’apprendre, de source sûre, qu’enfin l’on aura rendu justice à votre mérite. Encore l’état et la situation les plus heureux pour moi, ne les connaîtrai-je que dans ce jour où j’aurai le suprême plaisir de vous revoir, et de vous embrasser de tout mon cœur. Aussi bien est-ce là tout ce que je puis rêver et désirer, et nulle autre part que dans ce désir et cette espérance je ne trouve mon unique consolation, mon unique repos. Je vous supplie de m’écrire tout de suite : vous ne sauriez imaginer quel immense plaisir me font vos lettres. Ayez la bonté de m’envoyer une petite peinture de vos leçons d’action dramatique, — leçons que je vous recommande vivement. Mais, d’ailleurs, vous savez assez combien je m’intéresse à tout ce qui vous touche !

A propos, j’ai à vous faire mille complimens de la part de quelqu’un qui est le seul ami que j’aime vraiment ici, et cela parce qu’il se trouve être grand ami de votre famille, et qu’il a eu le plaisir et l’heureuse fortune de vous porter souvent dans ses bras et de vous donner des baisers quand vous étiez encore toute petite ! Cet ami est M. Kymli, peintre de l’Électeur... Je ne trouve pas d’autre plaisir que de causer avec lui, et lui, sachant qu’il n’y a rien au monde qui me plaise si ce n’est de parler de vous, ne manque jamais à le faire, tout le temps que nous passons ensemble. Et maintenant adieu, amie très chère ! Je suis follement anxieux d’avoir une lettre de vous, et, donc, je vous supplie de ne pas me faire languir trop longtemps ! Avec l’espérance d’avoir bien vite de vos nouvelles, je vous baise les mains, vous embrasse de cœur ; et suis et serai toujours votre véritable et sincère ami, W. A. MOZART.


On sait la triste fin du roman. Vers le temps où Mozart écrivait les deux lettres susdites, — d’ailleurs destinées à demeurer sans réponse, — le prince Palatin, qui maintenant était devenu Électeur de Bavière, avait fait venir à Munich la gracieuse Aloysia ; et aussitôt