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le contact à peu près quotidien des plus gracieuses solistes du Concert Spirituel n’ont réussi à l’en délivrer. Ses lettres à son père ne contiennent, il est vrai, qu’un assez petit nombre d’allusions directes à la « touchante » famille du souffleur de Mannheim ; mais à chaque instant nous y devinons que son cœur tout entier est resté là-bas, dans l’humble logement occupé par les Weber, « en face de la maison de la Loterie. » Notre amoureux ne rêve d’abord qu’aux moyens de faire venir en France ses chers protégés ; c’est à cette fin qu’il se prodigue en démarches, comme aussi s’évertue à composer symphonies et sonates, variations et airs, avec le secret espoir de gagner tout de suite assez d’argent pour pouvoir subvenir à l’entretien du père et de la fille ; et puis, lorsque à sa conviction de l’impossibilité pour lui d’une aussi rapide fortune s’ajoute encore un mélange de découragement et de vexation produit par la découverte, tous les jours plus certaine, de l’hostilité méprisante de son ancien protecteur d’il y a quinze ans, le voilà qui ne songe plus qu’à se réfugier aussitôt vers la douce bien-aimée qui l’attend, toute en larmes, de l’autre côté du Rhin ! « Vous allez rire, — écrira-t-il à son père, quelques semaines plus tard, — mais il faut tout de même que je vous dise que, en apprenant la mort de ma mère, la pauvre enfant est allée, tous les jours, prier pour moi à l’église des Capucins ! » Instamment il suppliera son père de lui accorder, comme la plus précieuse des grâces, la permission de passer par Mannheim, « afin de revoir ses amis les Weber. »

Mais, au reste, le recueil de M. Schiedermaier nous apporte aujourd’hui un document presque tout à fait inédit, — et de la plus haute portée biographique, — qui, bien mieux encore que tous ces passages des lettres de Mozart à son père, nous atteste l’exemplaire constance de l’amour du jeune maître. C’est une très longue lettre de celui-ci à Fridolin Weber, écrite de Paris le 29 juillet 1778, et suivie d’une courte lettre italienne à Aloysia elle-même. Impossible de rien imaginer de plus émouvant que ces deux mémorables morceaux, avec tout ce qu’ils nous montrent à la fois d’innocence puérile et d’exquise bonté. Et, d’abord, la lettre au père d’Aloysia nous apprend que ce dernier, depuis le départ de son jeune ami, ne s’est guère mis en frais de répondre aux tendres confidences qu’il en recevait. « N’auriez-vous pas eu les trois longues lettres que je vous ai écrites coup sur coup, du 27 juin au 3 juillet ? » lui demande naïvement le pauvre Mozart. En tout cas, il a le chagrin de devoir lui annoncer qu’il a échoué dans ses tentatives pour faire entendre Aloysia au Concert Spirituel, « Ah ! mon très cher et mon plus cher ami, que si seulement