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hasard ; mais il ressort de toute son œuvre et de ses propres aveux que le sujet pour lui est toujours secondaire. Nombre de ses fables ne sont que des anecdotes, des facéties, comme on en trouve à la douzaine dans les recueils de bons mots : L’ivrogne et sa femme, le Rieur et les Poissons, le Dépositaire Infidèle, l’Enfouisseur et son Compère. Beaucoup d’autres nous déconcertent par leur insignifiance ou leur insanité : Le Cierge, La Goutte et l’Araignée, La tête et la queue du Serpent, L’Homme et la Puce, Le Singe qui bat sa femme. Non seulement il ne recherche pas la nouveauté de la matière ; mais il met de la coquetterie à nous prévenir qu’on la lui a fournie et « qu’il ne lui reste que la forme, c’est-à-dire les paroles. » Il insistera même sur la banalité du sujet qu’il affronte.


S’il est un conte usé, commun et rebattu,
C’est celui qu’en mes vers j’accommode à ma guise.


Et il ajoute : « Voyons si je l’ai rajeuni ! » La forme sauve tout : le trivial comme le scabreux. Les plus médiocres objets empruntent de l’art un lustre insoupçonné ; les plus grivois, un attrait dont je voudrais pouvoir dire qu’il les « intellectualise. » On assure que, dans la conversation, les mots crus faisaient monter au visage du vieux disciple de Rabelais une rougeur virgilienne. Ils n’offensaient certes pas la pudeur de l’homme ; mais ils choquaient « l’admirable enveloppeur, » comme l’appelait Bussy-Rabutin, l’artiste qui n’était jamais plus heureux que quand il lui fallait tirer de sa tête


Nombre de traits nouveaux, piquans et délicats.
Qui disent et qui ne disent pas
Et qui soient entendus sans notes...
Des Agnès même les plus sottes.


Et, plus franc dans ses Contes que dans ses Fables, il n’admet pas que la critique se mêle de discuter ses choix ou de juger ses intentions :


Censurez tant qu’il vous plaira
Méchans vers et méchantes phrases
Mais pour bons tours laissez-les là...


Justiciable comme artiste et dans les limites de son art, il n’a aucun compte à rendre de ses idées et des caprices de son imagination. La préface des Orientales ne revendiquera pas