Page:Revue des Deux Mondes - 1913 - tome 18.djvu/876

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

cet effroyable squelette recroquevillé autour de son bâton crasseux ? La sorcière lève, vers vous, des yeux de fantôme à travers le sang et l’humeur flottant au fond des cavités que surplombe un crâne lépreux, à plaques éparses de laine blanche et grisâtre. Comme au temps d’Akil, sa vieillesse et sa laideur portent bonheur à la rue, croit-on.

Ces boules d’ambre monstrueuses oscillant contre les tempes de la femme au crâne rasé, sauf les trois houppes, ne sont-ce pas les ornemens primitifs de l’ère où l’ambre et l’étain provenaient de la Baltique, et, par la vallée du Rhin, celle du Rhône, étaient vendus aux Phéniciens de Tyr et de Carthage dans le port d’une Phocée future ?

A l’oratoire de Sidi-Yahia, une étrange ouverture fut percée, en forme de symbole fécondateur, dans le banco de la muraille ; ainsi, du dehors, le dévot peut introduire sa tête priante sans avoir à pénétrer dans le sanctuaire, pour, de sa voix, atteindre le tombeau du Saint.

Le Targui en larges braies qui tient par la longe le dromadaire beuglant, chargé du bouclier en peau de girafe ; le Maure qui, sous la perruque volumineuse, promène son indolence seigneuriale, cette série de Songaïs effondrés avec les blancheurs de leurs vêtures, le long de la mosquée blonde, contre laquelle ils appuyèrent leurs hautes cannes à bout de laiton ciselé ; ce groupe accroupi dans ses étoffes pour discuter d’une surate, tandis qu’un mouton familier cherche une herbe imaginaire ; ce marchand d’eau pliant sous le faix de l’outre humide, veau naguère, mais dont le liquide s’épanche vers la sébile, si l’on dénoue la ficelle serrant la peau d’une patte, tous ces gens qui se prélassent, qui sommeillent en apparence, ou qui, d’un geste lent et doux, caressent leurs lances d’acier lumineux, ces gens-là méditent en réalité, sous le turban, la calotte blanche ou le fez, comme dans l’ère d’Askya le Grand, restaurateur de l’Islam et de ses prestiges.


PAUL ADAM.