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Dès lors, les marchands de Tombouctou vécurent dans ces angoisses. Néanmoins, les bénéfices étaient encore si grands qu’on supportait tout. Par ses libéralités seules, une femme pieuse permit de construire la mosquée de Sankoré. Bien plus, de grandes familles arabes nées, développées hors du pays, dans les régions de Ghana, se joignirent aux citoyens de Tombouctou. Tels Sidi-Yahia et les pieux ancêtres des Kounta Bekkaï.

M. Félix Dubois a tracé un tableau saisissant de la vie religieuse et savante autour de l’université de Sankoré. Dans l’ombre de sa pyramide blonde, hérissée de poutres en saillie, tout un esprit se développa qui fit, de la cité, un centre de l’Islam politique, sans rien amoindrir toutefois de la volupté quotidienne. Pendant tout le XIVe siècle, les imans, les cheiks, les fakis et les marabouts se multiplient. Les docteurs de la loi coranique enseignent partout. De Fez et du Caire les mosquées envoient des consultans. Plusieurs miracles exaltent les foules. De belles paroles sont prononcées qui deviennent maximes et axiomes. Des manuscrits s’accumulent dans des coffres de cuir et de ferronnerie. Au milieu de ses disciples Sidi-Yahia (1373-1462) professe. Il arrête l’orage. Il abolit les effets de la flamme. Sa famille, d’autres, pieuses et lettrées, s’accroissent par des mariages. Elles acquièrent le respect de la foule. Ainsi, dans le quartier de Sankoré, une force indéniable se constitue. Une force morale, et une force intellectuelle.

Il faut s’attarder un peu dans cette mosquée où tant de cerveaux furent instruits, tant de cœurs émus, tant d’éloquences créées. Il convient de rester en méditation quelques instans, parmi l’obscurité fraîche et le silence. On y doit évoquer l’affluence ancienne des Sémites grêles et chevelus, des Berbères efflanqués, des Songaïs herculéens, lippus, crépus et barbus, marqués d’une triple cicatrice à droite de la bouche. Parvenus à travers les sables et les eaux, parmi de nombreux périls et de nombreux hasards qui avaient réduit la confiance de l’individu en soi, qui avaient accru la résignation à la fatalité, ces hommes apportaient leurs réflexions des longues marches, des repos au bivouac, des navigations sous le soleil inexorable. Les plus intelligens comparaient leurs craintes, leurs espoirs, leurs calculs, leurs idées. La philosophie du désert fut discutée, propagée. Les membres voyageurs des confréries affilièrent des prosélytes. Les énergumènes en imposèrent aux timides et aux