Page:Revue des Deux Mondes - 1913 - tome 18.djvu/869

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

encore, le chef des griots posait la tête sur les genoux de l’empereur, avant de la poser sur l’épaule droite, enfin sur l’épaule gauche du maître impassible. Ces mœurs et ces luxes des Mandingues avaient sans doute pénétré Tombouctou.

On y battait et on y enchaînait les écoliers paresseux qui n’apprenaient pas les versets du Coran. Bien que les habitans, fussent en partie des Berbères Massoula venus des salines de Teghazza avec le litham sur le visage, ils obéissaient au proconsul de Mali. Ils en recevaient, pour leurs chefs, le turban d’investiture. La bière au miel les désaltérait. Attentives sous leur casque crépu, les teinturières Malinkés plongeaient, dans des cuves pleines d’indigo, les étoffes tissées par bandes sous tous les hangars de la ville par des artisans graves travaillant des pieds et des mains derrière leur réseau de fils tendus. Ainsi les voit-on de notre temps.

Les caravanes venant de la Tripolitaine constituèrent un quartier. Elles y laissèrent, au départ, des gardiens et des entrepositaires. Les Marocains, les Arabes ajoutèrent leurs villes à la ville. On s’y enrichissait de plus en plus. On s’y alanguissait dans des plaisirs défendus par le Prophète. En vain tout un siècle, les imans déclamèrent dans l’obscurité fraîche de la grande mosquée. Sous les cintres bas, entre les piliers lourds, les auditoires souriaient accroupis dans le moelleux du sable. Tombouctou gardait sa foi en l’excellence des plaisirs. Ne délassent-ils pas le négociant après les calculs ? Ne récompensent-ils pas, de ses longues angoisses, la caravane parvenue au but avec la plupart de ses dromadaires et de ses charges ?

Lorsque déclina le pouvoir des empereurs mandingues, les Touareg hésitèrent moins à rançonner ces lentes caravanes, et même à les piller sous des prétextes spécieux. Puis les troupeaux de Tombouctou attirèrent des ravisseurs hardis qui s’habituèrent à razzier les camps des pasteurs et des chameliers. Au cours des bagarres, les faubourgs brûlèrent. En 1433, le Targui Akil expulsa les troupes mandingues. Il décida que le maire du pays lui verserait les deux tiers de l’impôt ; mais ses soldats réclamaient bientôt le tiers réservé. Au moment de la perception, ils envahissaient la ville, bousculaient les citoyens, enlevaient les femmes, jusqu’à ce que des résistances justifiassent un combat, puis le versement, comme indemnité, du tiers municipal.