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fer et de cuir à serrures énormes de ces courtisanes. Il en est qui réclament un don de quinze louis avant d’accueillir les hommages d’un admirateur.

Les femmes maures les méprisent un peu. Sévères, leurs yeux, sous le froncement des sourcils, se détournent. Elles vont à leur quartier de chaumières coniques, où de belles nattes tendues ombragent l’accès des portes hautes. Dans les intérieurs, les cuivres des aiguières brillent, ceux des plateaux, les aciers des lances, les ferrures des cassettes. Des bracelets d’ivoire ceignent les poignets des jeunes filles indolentes. Sur une selle deux manuscrits de poèmes arabes demeurent ouverts pour l’étude anxieuse d’une jeune dame souriante, en pagne, et qui se tient la gorge dans les mains croisées.

Même quand la prospérité nouvelle de Tombouctou eut réduit à rien la vie commerciale de Tirakka, célèbre par ses tortues et ses termites, port ancien sur le Niger, ces villages berbères en forme de paillassons, ces villages songaïs de grandes ruches pressées, ces villages maures de chaumières coniques, ces foires permanentes aux boutiques de nattes, furent les quartiers divers de la cité primitive. Tels ils subsistent aujourd’hui avec leurs marchands et leurs cultivateurs, leurs nomades et leurs caravaniers du Nord que pacifie, que concilie le Français leste, affable, indulgent sous le casque, en son costume de pierrot frais.

Dès le XIIe siècle, pourtant, sous la paille des toitures, se développa toute une vie de riches cachant leurs trésors et de guerriers convoitant le butin. De Ghana, au Nord, comme de Djenné, au Sud, de plus en plus, affluèrent, dans ces villages unis, les objets ingénieux de la Méditerranée latine et arabe, les produits naturels du Niger, mandingue, peuhl, songaï et saracolé. Alors, sans doute, les marchands commencèrent à bâtir, dans le centre, certains groupes de maisons solides, et à placer dans leurs murs, les portes bardées. Néanmoins, ces constructions furent très rares au début. Tombouctou demeura, plus d’un siècle, comme un ensemble de bourgs aux cases de torchis, couvertes en chaume. De larges étendues séparaient les agglomérations. Tels sont encore ces faubourgs tassés où fourmille une plèbe de sombres athlètes, où se réunissent les chameliers maures, où gîtent les Bellas gagne-petit et les Bambaras ouvriers, où les bergers peuhls amènent leurs troupeaux de Macina, où les théories de lavandières défilent nues presque,