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Même le feuillage verni d’un doulabé épanouit son dôme au-dessus de la flaque qui miroite dans le fond du puits. Nues jusqu’à la ceinture, violâtres comme l’encre, des jeunes filles Bellas descendent, par le sentier mobile, plongent leurs jarres, les remplissent, les chargent sur l’épaule ou sur la tête, et remontent, la face digne, entre leurs cadenettes, leurs pendeloques d’ambre, de piécettes et d’anneaux en ivoire, et le front ceint de diadèmes en perles. Telles, sans doute, elles allaient et venaient sous l’œil de la vieille commise à la surveillance du puits par les Touareg du XIIe siècle qui, de Teghazza ou d’ailleurs, apportaient là, vers la saison de la crue, aux lianes de leurs dromadaires, les planches de sel extraites, par leurs vassaux Soninkés de Ghana, dans l’espoir d’échanger cela contre de l’or en poudre, de l’ivoire, du mil, et des bandes tissées, ainsi qu’on faisait alors, un peu plus loin, à Tirakka.

A suivre ces ménagères, ces femmes Songais qui marchent droites sous la grande calebasse humide écrasant leur cimier de trois houppes, et plissant leur front cerclé de verroteries, leur figure ornée d’une boucle en or qui perce la cloison nasale, on atteint, derrière cette théorie de sveltes créatures aux belles jambes, aux bras fins, aux échines souples, les haies en épines sèches d’un quartier bellah. Des pieux fichés dans le sable soutiennent, à quelque distance du sol, un dôme de paillassons cousus ensemble. Là-dessous, dans le courant d’air, des hommes conversent, accroupis. Debout, en leurs tuniques bleues, d’autres surveillent les chameaux agenouillés, les poules qui picorent, les chevreaux qui cabriolent. Deux ou trois nattes, des pots de terre, des selles (rallahs) en bois et en fourrure de mouton, pour les méharis, quelques sacs de cuir servant de coussins, voilà tout le mobilier de ces gens dont la garde-robe, pagnes bigarrés, boubous bleus et braies de lustrine, s’étale au soleil, sur l’arène, après la lessive.

Ni les Maures, ni les Touareg ne semblent mieux logés. A vrai dire, cela n’indique point un état correspondant de barbarie. La nécessité de se mouvoir sans cesse, pour un peuple de pasteurs et de chameliers, dans une région de très maigres pâturages bientôt tondus, contraignit toujours ces hommes secs et sobres, sans grands besoins, à considérer leur demeure comme provisoire. Par ailleurs, le climat n’invite point à se créer des abris solides, immuables. Un courant d’air, sous une tente