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s’arrête sur son méhari, aux côtés d’un colonel Sadorge, ou d’un colonel Roulet, d’un lieutenant Gallé-Lalande, d’un lieutenant Ranc, de leurs camarades, en écoutant les récits très simples de ces soldats. Et ce plaisir-là, celui de savoir la Nation mère de telles âmes, ne vaut-il pas à lui seul tous les autres plaisirs du beau voyage ? Avec quel orgueil saint on s’avance ensuite, la bouche ouverte à l’air tiède, par cette contrée de sables et d’arbustes poudreux, vers la capitale de nos conquêtes libératrices.

Après la d’une d’Amadia, le touriste a dépassé le « le Seuil du destin des vierges, » Fina-Kadar-el-Alkâr. A cette place en 1448, périrent trente filles de jurisconsultes coraniques, mises à mort sur l’ordre de Sonni-Ali, parce qu’elles ne pouvaient davantage avancer dans le sable, étant venues déjà de Tombouctou à Kabara pour satisfaire un caprice du vainqueur, puis, ayant dû repartir à pied dans la mollesse brûlante du désert. Cette route a bu trop de sang, que versèrent tour à tour, au XIIIe et au XIVe siècle, les Mandingues de l’empereur Kankan Moussa, les Songaïs des Dias de Gao, au XVIe siècle, les Marocains vainqueurs des Annasqui, terrifiés par les arquebuses, jetaient, contre terre, leurs boucliers pour s’y accroupir, et tendre le cou aux égorgeurs. Au XVIIe , les armées des pachas et les escadrons des Touareg n’épargnèrent ni l’âge, ni le sexe, ni le savoir.

Pas une éminence, pas une combe qui ne suggère au guide les souvenirs d’un meurtre célèbre, d’un massacre historique. Sur la fosse d’un marabout assassiné, un arbuste a poussé dont toutes les branches arborent des centaines de chiffons qui prouvent la piété des fétichistes comme des musulmans. Les carcasses d’animaux dévorés brillent de-ci de-là, dans la poudre. Le paysage de dunes onduleuses, et d’arbustes roussis se perpétue. Le silence des humains souvent dure. On ne perçoit alors que les foulées plongeantes des méharis, le cliquetis des gourmettes aux mors des chevaux, le trot de l’escadron. Un vautour plane et s’éclaire, plus roux dans le soleil. Un berger pousse l’indolence de ses moutons. Une Songaï à trois houppes et chargée de bijoux presse, de sa jambe au lourd anneau d’argent, le flanc docile de sa bourrique.

Quelques dunes encore avec les couleurs diverses de leurs arbustes roux, verts ou secs..