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Le roman, assez médiocre, qu’Anatole Leroy-Beaulieu écrit vers la même époque : Une troupe de comédiens, a aussi en partie pour cadre Venise et retrace la prise de « la Reine des mers » par les Autrichiens en 1849.

Telles étaient les « fantaisies poétiques » où se plaisait la jeunesse d’Anatole Leroy-Beaulieu, fantaisies déjà sérieuses, austères même ; il promène son ardente curiosité à travers l’Europe où bouillonnent les aspirations nationales et où fermentent les espérances libérales, d’autant plus séduisantes pour un jeune cœur épris de justice et d’idéal qu’elles sont vaincues, refoulées, bridées. Déjà, dans ces « années d’apprentissage, » apparaissent ses goûts sérieux, les tendances élevées de son esprit. Ses pèlerinages d’art et d’études à travers le monde latin et germanique, dont il sait les langues et connaît les littératures, sont laborieux. « L’étude des différens peuples de l’Europe, pourra-t-il dire dans la préface de l’Empire des Tsars et les Russes, de leurs mœurs, de leur littérature, de leurs institutions, de leur état social, a été la principale occupation de ma jeunesse. « Il subsistait, malgré tout, dans ces études, un côté amateur, ou, pour employer sa propre expression, « fantaisie. » La guerre de 1870 va apporter à ce jeune homme de vingt-huit ans, déjà si au courant de ce qui se passe à l’étranger, des raisons patriotiques de s’en instruire davantage et d’éclairer ses compatriotes : ce sera sa manière à lui de travailler au relèvement de la patrie mutilée. L’année terrible a déterminé l’orientation intellectuelle et morale des hommes de cette génération. La précédente, celle du second Empire, avait été dupe de son optimisme ; elle avait cru, avec Bastiat, aux « harmonies économiques ; » l’essor industriel de la France sous Napoléon III, le succès du régime libre-échangiste, paraissaient inaugurer le règne de l’industrialisme, prédit par Saint-Simon, et annoncer l’âge d’or de la paix et de la concorde universelle ; la bourgeoisie française se laissait aller à la joie de vivre, de travailler, d’accroître ses richesses ; le Corps législatif rejetait ou mutilait les lois militaires proposées par le maréchal Niel ; la jeunesse libérale et républicaine était séduite par les utopies humanitaires ; on s’imaginait que les nations unifiées s’embrasseraient et tresseraient des couronnes à la France, apôtre du principe des nationalités. On avait cru à la force du droit, et voilà que l’on se réveillait en face de Bismarck et du droit de la force. La France s’était trompée sur elle-même et