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Car nous sommes ici au pays de l’héroïsme latin. Ni l’histoire de Rome, ni l’histoire de la Grèce ne donnèrent, peut-être, des exemples d’honneur aussi purs que ceux prodigués par les Paul Hollé, les Tautain, les Archinard, les Boiteux, les Bonnier, les Ponty, les Clozel, les Marchand, les Baratier, les Mangin, les Cornet, les Guignard, les De Chevigné, les Le Lorrain, les Rossi, les Mouret, leurs camarades, prédécesseurs, et successeurs. Les épopées les plus fabuleuses relatent des exploits moindres que celui d’un lieutenant de Chevigné se brûlant la cervelle, pour contraindre à la retraite ses spahis noirs, rebelles à l’idée d’abandonner, devant l’ennemi, leur chef immobilisé par sa blessure. Roland à Roncevaux fut-il plus noble ? Ses compagnons furent-ils plus dévoués ?

Comment ferions-nous croire qu’une ville grande comme Amboise, avec l’importance financière et commerciale du Havre par rapport au pays, avec une tradition historique de valeur égale, capitale et port du Sahara, terminus des caravanes marocaines et tripolitaines depuis les temps inconnus, terminus de toute la navigation soudanaise depuis l’origine des transactions africaines ; comment ferions-nous croire que cette ville, disputée depuis l’an mil, par les empereurs de l’Est et de l’Ouest, du Nord et du Sud, au prix de batailles effroyables où des peuples s’épuisèrent, comment faire croire que cette ville fut prise par les douze hommes du lieutenant Boiteux, et qu’elle demeure sous notre drapeau, depuis dix-huit ans, malgré tous les efforts des adversaires touareg et marocains ; grâce au génie de nos officiers ? Maîtres à présent du Sahara, ils se déclarent prêts à réunir notre domaine d’Algérie à notre empire du Soudan, et prêts à défendre de toute attaque la voie ferrée que, d’oasis en oasis, l’on trace, entre Colomb-Béchar et Tosaye, ce point de l’Est, vers Gao, où le terrain rocheux étreint le cours du fleuve.

Voilà pourquoi il fallait parvenir à Tombouctou. Demain, la locomotive rendra voisines les eaux de la Méditerranée et celles du Niger, et celles du Congo, celles-ci malheureusement soumises, par la plus lâche et la plus inutile des capitulations, aux enclaves des terres germaniques. Demain, Tunis et Abécher, Alger et Brazzaville, Oran et Dakar, seront les préfectures d’un seul empire cohésif, à vingt millions d’habitans. Vingt millions de consommateurs pour les industries de nos ouvriers. Vingt