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officiers, la palme tendue, par le destin, après vingt ans de rudes campagnes.

Plus séduisantes me sont les grâces de Kayes et de Mopti, villes heureuses dans leurs beaux paysages d’arbres géans et d’eaux étendues. J’aime mieux la puissance créatrice symbolisée dans la cité de Koulouba, qui se dresse avec ses palais grandioses, ses villas, ses jardins, son élite pensive et active, ses ballets de mille danseuses, sur la montagne dominant les quartiers populeux de Bammako et le cours solennel du Niger. Rien ne vaut, pour notre mémoire, la résurrection égyptienne et punique de Djenné apparue à travers des peuples d’oiseaux en essor, elle, ses danseuses, ses cavaliers, ses musiciens et tout son peuple soninké à grands plis. Qui donc oubliera le charme suranné de Saint-Louis où les naufragés de la Méduse hantent, de leur âme, les avenues bruyantes qu’ils venaient bâtir au confluent des races berbères, sémites et ouoloves, parmi tous les apparats de la beauté sombre, qui se drape de bleu, de blanc, qui vague dans ses faubourgs de planches, de tentes et de palmes, qui emporte ses étoffes envolées jusqu’aux volutes lumineuses de l’Océan ? J’ai vu le bonheur agreste dans les villages dorés du Cayor, au milieu des champs de maïs et d’arachides. Sous les vautours planant, j’ai reconnu l’art de Carthage dans les bijoux massifs ornant les poitrines toucouleures et peuhles de Boghé, de Kaédi, et qui miroitaient sur leurs dunes. A Bakel, il y a un vieux fort aux suggestions héroïques, un marché tumultueux sous des fromagers colossaux, des Soninkés nobles comme des statues, un instituteur noir plus savant que les nôtres, et des ravins fleuris que surplombent des hameaux enguirlandés pleins de bronzes vivans, nymphes musculeuses, marmaille turbulente. Au delà de l’élégante Kayes, les chutes du Felou bouillonnent dans un titanesque paysage de paliers rocheux. Le Bambouk est un fond des montagnes forestières pour les pasteurs de Théocrite et de Virgile, pour les bergers mandingues, et les gros singes en troupes fuyant l’incendie automnal de la brousse sous le vol des oiseaux bleus et rouges. A Ségou, la fièvre du commerce étonne. A Djenné, l’histoire du Soudan par le sur toutes les rives des marigots. Partout la joie de l’Afrique éclate, rit, gambade, la joie des races affranchies enfin de leurs longues terreurs, la joie de races prospères dans leurs villes d’argile blonde et leurs villages de ruches enguirlandées, où les tiges de maïs