Page:Revue des Deux Mondes - 1913 - tome 18.djvu/82

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

sont déprimantes aussi souvent que la richesse et la faveur ; la lutte sans répit, si elle n’aboutit pas au succès, use et brise les énergies. La fortune, qui donne le goût et l’habitude de l’indépendance, contribue à entretenir, chez certains hommes d’élite, la préoccupation des affaires publiques et l’illusion de croire que la « liberté » est le premier de tous les biens ; pour celui qui lutte chaque jour âprement pour sa vie, c’est souvent, comme on l’a dit, la liberté qui opprime. Le libéralisme d’Anatole Leroy-Beaulieu est d’abord fait de son amour de l’indépendance personnelle. Il vit, pense, travaille sans entraves, sans but immédiat. Il préféra toujours l’indépendance de sa vie aux honneurs, l’indépendance de sa pensée à la satisfaction de jouer un rôle sur la scène politique où trop de cabotins coudoient les grands acteurs. C’est ce trait de son caractère qui se dessine au premier plan dès les premières années de sa vie d’homme.

Né en 4842, il assiste à la période de pleine prospérité du second Empire ; c’est l’époque où il parcourt l’Europe, éduquant sa sensibilité, meublant sa mémoire, et où il ouvre les yeux sur la vie et sur le mouvement des sociétés. A l’âge où les idées que l’adolescence emmagasine commencent à se coordonner pour laisser jaillir la pensée personnelle, il a déjà vu la mêlée des opinions et l’anarchie des illusions généreuses aller se perdre, avec la seconde République, sous le manteau semé d’abeilles d’or d’un Napoléon. Mais l’idéal libéral survit à la chute de la liberté politique et, pour l’avoir longtemps cultivé dans le secret de leur cœur, les hommes de cette génération y sont restés fidèles à travers toutes les déceptions. Anatole Leroy-Beaulieu est du nombre de ceux qui entretiennent la flamme sacrée. Sous l’Empire, il est dans l’opposition, et, pourtant, en 1872, à l’âge où les passions politiques sont les plus ardentes, les plus impitoyables, on le voit prendre la plume et juger Napoléon III, vaincu et malheureux, avec sévérité, mais sans haine et sans partialité : c’est son premier article à la Revue des Deux Mondes qui fonde sa réputation, séduit Buloz et ouvre toutes grandes au jeune écrivain les portes de la maison.

Conflit, dans l’Etat, des anciens partis politiques ; conflit, dans l’Église, des opinions ultramontaines et des espérances libérales ; proclamation de l’infaillibilité doctrinale du Pape, cause d’inquiétude pour les uns, objet, pour d’autres, d’un enthousiasme