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Ces Ave Maria, ces louanges, tout se déploie, ondoie dans une clarté simple et enchanterait la douleur. La procession en marchant leur répond. Par instant, les jeunes filles chantent seules ; groupées autour de la statue, elles jettent aux jardins l’hymne de leur cœur. Aussitôt, dans le bas de la côte, les voix des enfans leur répondent, étouffées par les arbres et tendres comme un grand murmure sous les feuilles. C’est la douceur d’une convalescence quand la douleur glisse au lointain. Le monde devient plus léger, plus diaphane ; les laideurs et les brutalités s’éloignent ; une nostalgie s’éveille dans notre âme, mais adoucie, recouverte, effacée ; nous éprouvons un surplus de sympathie, de reconnaissance, et tout autour de nous s’animent les élémens fluides et impondérables, la lumière, la douceur du soir tombant, les charmilles défaites, la brume de la rivière. J’ai entendu Parsifal à Bayreuth ; tout y est lourd, grossier, volontaire, près de cette fête de la pureté.

Enfance, adolescence, maturité, soir paisible de la vie, tous les âges flottaient sur le vieux parc, comme un brouillard du matin accroché dans les arbres, comme une vibration de Mozart après que les violons se sont tus. Quelle éclosion, une telle journée, entre les longs travaux de la vie terre à terre ! C’est ici que la petite ville peut prendre le sentiment de sa beauté morale, et s’évader des soins matériels. Qu’ils soient remerciés, ceux qui font sortir ces belles heures de la masse sombre des jours. J’ai vu passer la poésie dont je suis un fils reconnaissant et privilégié.


M. MAURICE BARRÈS.