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a rapportée. Ayant appris un soir qu’un nouveau livre de plain-chant venait d’être apporté au monastère et placé sur le lutrin, « il eut une telle envie de le voir, qu’il se glissa comme un chat par une fenêtre dans le chœur, tandis que Santiago l’éclairait avec une chandelle. Le prieur, selon sa coutume, fit une ronde pour s’assurer que les moines étaient couchés. Il aperçut de la lumière dans le chœur et surprit ainsi le Roi en flagrant délit. Philippe eut honte sans doute, car il lui fallut bien avouer qu’il était entré par la fenêtre : petitesse peut-être de la part d’un si grand prince, mais à coup sûr indice d’une pieuse et sainte convoitise. » Philippe II avait formé sa « chapelle » exclusivement de moines hiéronymites connus pour leur austérité non moins que pour leurs talens. Les documens de l’époque attestent la beauté de leurs chants. M. Collet a raison : « Une âme d’artiste, de poète et d’ascète se révèle en cet énigmatique souverain. » Mais l’ascète à la fin l’emporta. Par une sorte de scrupule ou de mortification posthume, le monarque mélomane ordonna qu’on célébrât ses funérailles « sans appareil, sans musique et sans bruit. »


Avec l’ardent amour des rois d’Espagne pour la musique, le sentiment des lettrés et des savans du XVIe siècle était d’accord. La philosophie, l’érudition de l’époque accordèrent une place d’honneur à la musique, et particulièrement à la musique religieuse, parmi les divers ordres de la connaissance, entre les plus grandes, les plus nobles disciplines de l’esprit et de l’âme. Dans la production musicale de l’Espagne à cette époque, la théorie ne le cède en rien à la pratique. Au moins par le nombre, les musicographes, ou les musicologues, — entre ces deux affreux mots on hésite à choisir, — ne sont point inférieurs aux musiciens. Dès la fin du XVe siècle, les encyclopédies espagnoles font de la musique l’objet de leurs plus hautes spéculations. Dans les collèges, dans les couvens, dans les Universités de la péninsule, partout, pour l’enseignement de la musique, des chaires sont instituées et prospèrent. Les statuts de l’université de Salamanque, en particulier, contiennent à ce sujet des renseignemens précieux. Il arrive même, par un curieux renversement de l’ordre naturel, que la théorie prend un moment le pas sur la pratique, au moins dans l’estime des théoriciens, et que ceux-ci, du haut de leurs idées pures, accablent de leur mépris les musiciens de fait ou de métier. Le bon Labiche disait un jour à certain apprenti critique, et critique musical : « A votre place, mon ami, j’aimerais encore mieux créer un ciron que disséquer un hippopotame. » L’Espagne du