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regarde et va lui parler, va lui dire : « Est-ce toi qui es là ?... Là, toute seule, dans cette cage aux murs blancs que des mains oisives, impatientes, prisonnières, ont écorchés d’initiales entrelacées, brodés de figures indécentes et naïves ? Sur ces murs de plâtre, des ongles rougis, comme les tiens, ont écrit l’appel inconscient des abandonnés... Derrière toi, une main féminine a gravé : Marie... et la fin du nom s’élance en parafe ardent, qui monte comme un cri... Est-ce toi qui es là, toute seule, sous ce plafond bourdonnant que les pieds des danseurs émeuvent comme le plancher d’un moulin actif ?... Pourquoi es-tu là, toute seule ? et pourquoi pas ailleurs ?... » Ainsi parle à Renée une étrangère qui est Renée ou bien, en définitive, qui est sa conscience. Et autant dire qu’à tout le nihilisme de l’âme a survécu la conscience. Une conscience elle-même langoureuse et mélancolique : elle ne vous adresse pas de reproches ; elle vous invite à n’être pas gaie.

Cette conscience, comme la pudeur de Marianne ou de Renée, est un instinct, naturel en quelque mesure ; et puis elle est le reste d’un passé : bonne naissance de Marianne ou bonne enfance de Renée. Elle n’est plus qu’un instinct, qu’une velléité parmi d’autres. Et Renée, qui a éconduit toutes les idées directrices, vit de par ses velléités. Elle les examine ; elle leur est bien attentive ; elle connaît leur détail. Mais, quand elle se décide en faveur de l’une d’elles, ne croyons pas qu’elle ait cédé à des argumens d’une autre sorte : elle a laissé à ses velléités leur liberté élémentaire. Dans la Vagabonde, aux derniers chapitres, elle prend le parti de rompre une amitié qui était un peu des fiançailles, voire assez urgentes. Cela modifie toute sa destinée. Elle ne réfléchit point aux inconvéniens et avantages de l’alternative. Elle est en wagon revenant à Paris ; elle rêve, et très vaguement. Le rêve aboutira, elle ne sait comment. Et, si on lui demandait pourquoi elle a préféré ceci ou cela, elle ne le saurait pas : ceci ou cela s’est préféré en elle. Dans la suite de la Vagabonde, l’Entrave, elle était sur le point de rentrer chez elle, tout droit, quittant Genève. Elle accepte d’aller à Lausanne ; puis elle accepte de faire une promenade en bateau, une promenade qui, une fois encore, modifiera sa destinée. « J’hésite, puis j’accepte, non que j’aie envie d’une promenade en bateau. Mais, depuis mon arrivée à Ouchy, ma journée est gâtée par un malaise de ratage, de maldonne, de faux départ, un malaise qu’on pourrait encore dissiper, en se dépêchant beaucoup, par exemple, et je ne sais par quel moyen. Je ne sais pas non plus ce que je suis venue chercher ici, mais je sais fort bien que je ne l’ai pas eu, et qu’il s’en faut peut-être d’un instant, d’un mot, d’un court repos sur l’eau lisse, que je parte rassérénée. »