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et son orgueil la défend : un orgueil joli. Elle ne fait pas la mijaurée. Elle est contente de ses victoires ; et elle ne les proclame pas. La Vie de Marianne et la Vagabonde : deux études et analyses de la pudeur féminine. Seulement, l’auteur de la Vagabonde, étudiant et analysant les manèges de la pudeur, n’a pas toujours évité l’impudeur de l’écrivain réaliste.

La pudeur de Marianne et celle de Renée ont cette analogie encore : elles ne dépendent pas d’une morale. Marianne est bien détachée de son catéchisme et Renée, plus évidemment, détachée de toutes les doctrines. Ainsi, la pudeur serait une spontanéité absolue, un instinct délicat. Ce n’est pas ce que Marivaux et Mme Colette Willy ont voulu démontrer ; la Vie de Marianne et la Vagabonde ou l’Entrave ne sont pas destinées à une démonstration. Mais, comme il y a, dans ces romans, beaucoup de vérité, l’on est, en les lisant, mené à conclure, de même qu’en examinant la vie réelle. Et c’est un bon signes D’ailleurs, ici, la Vagabonde et l’Entrave l’emportent sur la Vie de Marianne. Le subtil Marivaux abonde en remarques ingénieuses, pénétrantes, malignes ; je ne crois pas que ses diverses remarques se réunissent et forment une vivante unité. L’on dirait un peu de maximes qu’un moraliste aurait assemblées et illustrées d’exemples persuasifs. Chacune des maximes nous séduit par son exquise justesse ; et, ce qui manque, c’est une philosophie. Or, si l’auteur de la Vagabonde et l’Entrave n’a pas eu l’ambition de formuler une thèse, une philosophie résulte de ces deux romans : peu importe que l’auteur ne l’ait point cherchée.

Renée Néré, je l’indiquais, a une âme toute dévastée. Elle ne possède plus ses croyances ; ce qu’on nomme les préjugés, elle le sacrifie. Elle avait une existence régulière. Il lui a semblé que cette existence était pleine de mensonges, de duperie et de vilenie. Elle s’en est évadée. Où va-t-elle ? Au hasard. Elle n’a pas de fortune. Elle doit gagner son pain de chaque jour. Que faire ? Et c’est ainsi qu’elle entre au café-concert, comme danseuse. Il y a, dans ce choix, de la désinvolture et du défi. Que deviendra-t-elle ? Ce qu’elle deviendra dépend du hasard et d’elle-même, non du hasard uniquement, plutôt de la façon qu’elle aura de traiter le hasard, de l’accepter ou de le refuser, de réagir contre lui. Elle dit : « Je n’ai plus foi qu’en lui (le hasard), — et en moi. En lui surtout, qui me repêche lorsque je sombre et me saisit, et me secoue, à la manière d’un chien sauveteur dont la dent, chaque fois, perce un peu ma peau... Si bien que je n’attends plus, à chaque désespoir, ma fin, mais bien l’aventure, le