Aujourd’hui, l’amant parti, Renée Néré est à regarder la rue, par la fenêtre de sa chambre, dès l’aube. Une fièvre la tourmente, une déception de la volupté, un amour ému de rancune. Elle regarde : « Le ciel et le pavé mirent l’un dans l’autre une blancheur passagère, avant le lever rouge du soleil ; c’est ce candide moment que les jardiniers de mon pays, soucieux de cueillir des fruits fermes et froids, nommaient l’heure des fraises... » Elle rêve autour de ces mots et autour du passé qu’ils évoquent dans sa mémoire : c’est un rêve meilleur et plus sain que l’amertume sensuelle. Pendant ses tournées de danseuse, en province, elle s’échappe et, dans les environs des villes, se promène afin de respirer « l’odeur du gazon, de la terre remuée, » odeur forte et douce. Un clair de lune « qui se mire aux buis et aux lauriers luisans » la divertit de toutes les concupiscences. Sur la route qui va de Monte-Carlo à Nice, une bruyante compagnie ne la détourne pas de goûter le beau soir qui tombe et de frémir à la rapidité de ces minutes qui sont le splendide symbole de toute brièveté. Elle aime la nature et, plus, que la nature, la campagne. C’est pour elle un sentiment tutélaire, si dans sa pensée la campagne et l’enfance honnête sont réunies. Durant tout le roman de la Vagabonde, elle évite de succomber aux plus viles tentations ; elle ne se dégrade pas. On la sent préservée : le souvenir de son enfance, comme une vague religion, la préserve. Marianne qui, en fin de compte, demeure plus intacte, c’est aussi, en quelque manière, son enfance qui la préserve : plus encore que son enfance, sa naissance. Elle est une fille de qualité. D’abord, on l’ignorait. On l’apprend ; et l’auteur désire qu’alors on ne soit pas surpris d’avoir vu Marianne si sage. Renée, à qui le sort n’a point ménagé de ces aubaines quasi merveilleuses, Renée plus vraie est aussi plus touchante. Mais, enfance paysanne ou illustre naissance, Renée et Marianne sont deux petites chattes qui ont le souci de la propreté. Marianne réussit encore mieux, et parfaitement bien, à se garder intacte : c’est qu’elle a plus de chance et moins de difficultés. Dans la Vagabonde, Renée montre une délicieuse habileté, pour se tirer des occasions périlleuses. La débauche qui l’entoure ne la touche pas. J’ai vu, dans les khanis de Grèce et dans l’ordure où se vautraient gens et animaux, les rouliers et les porcs, de petites chattes si blanches que leurs robes immaculées étaient, parmi la boue et l’ignominie, un paradoxe d’élégance : telle m’apparaît Renée dans la fange de la Vagabonde. Elle a de fines précautions, pareilles à des coquetteries. Elle accomplit des miracles de vertu. Les prouesses de son dédain sont ravissantes. Elle a une excellente opinion d’elle-même ;
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