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Cette hypocrisie, c’est l’art, en somme. C’est l’art d’autrefois. L’art consistait à « imiter, » — non pas à copier, — le « serpent » et le « monstre odieux. » Il fallait, dans l’imitation, faire entrer le plus de réalité possible ; non pas une réalité toute nue : une réalité bien habillée, déguisée, que le lecteur se plaisait à reconnaître sous le déguisement. Telle est, si je ne me trompe, la volonté de nos poètes classiques et encore la volonté de nos écrivains à l’époque de Marivaux. Depuis lors, on a cherché la réalité avec un zèle de plus en plus entreprenant. On l’a aimée, ma foi, comme le vieux libertin Marianne, très satisfait de ce qu’elle se décoiffe et laisse pendre ses cheveux ; on l’a aimée, comme l’envahisseur Renée Néré, très aguiché de sa robe « demi-ouverte, » disons ouverte. On a aimé la réalité pour elle-même, toute nue ; on lui a ôté son déguisement, l’art d’autrefois.

La nouvelle Marianne n’est pas hypocrite. Je ne sais si, auprès d’elle, Marianne de Marivaux ne semble pas un peu perverse. La nouvelle Marianne serait plutôt cynique : elle l’est. Pour préférer l’une ou l’autre, il faut choisir entre quelque cynisme ou quelque perversité.


Marianne, de Marivaux, un bon prêtre l’a élevée. Mais elle n’a pas beaucoup de sentimens religieux. Du moins, les sentimens religieux ne sont pas ce qui l’empêche de tourner mal. Si elle croit en Dieu, parce qu’elle ne pense guère à n’y pas croire, elle n’est pas une âme que les préceptes chrétiens sauvegardent et conduisent. Renée Néré, je ne sais pas si elle croit en Dieu. Songeant à qui l’aima sans être payé de retour, elle écrit : « Tu ne sauras plus rien de moi jusqu’au jour où mes pas s’arrêteront et où s’envolera de moi une dernière petite ombre, qui sait où ?... » Elle croit au hasard, qu’elle appelle son maître et son ami ; elle a, pour le hasard, une étrange crédulité : c’est presque de la foi, se dit-elle, et elle ajoute : « Vraiment, le jour où mon maître le hasard porterait en mon cœur un autre nom, je ferais une excellente catholique. » Elle n’en est pas là, dans la Vagabonde ou l’Entrave. Elle s’en aperçoit et, semble-t-il, avec un frisson de regret. C’est tout ce que je vois de religieux en elle ; et c’est, à présent, peu de chose : un frisson passe vite. En fait de religion véritable, c’est tout ; ce n’est presque rien. Mais, comme une religion, il y a en elle le souvenir de son enfance, cher souvenir, si précieux qu’à peine, dans sa vie indigne de lui, l’ose-t-elle éveiller : elle a peur de le profaner. Il s’éveille tout seul. L’enfance à la campagne, dans les jardins et dans les champs, parmi les calmes et lents travaux, sous la lumière naturelle, dur contraste avec la ville et ses folles !