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tenir sur le qui-vive et l’insécurité régnerait sur les chemins. Imbert s’était proposé de les enlever par surprise, mais Merton l’en avait dissuada : il projetait de les contraindre à demander eux-mêmes l’aman.

D’adroites investigations lui faisaient comprendre que, par prudence, les Bon-Acheria n’avaient pas emmené dans leur exil les immenses troupeaux qui constituaient le plus clair de leurs richesses, afin de les soustraire aux convoitises des Zaïan. Ces troupeaux se trouvaient donc en pays zaër où les anciens seigneurs de Merchouch avaient encore des cliens fidèles, sous la garantie morale de l’honneur des douars. A les découvrir, Merton avait longtemps usé en vain les ressources de son esprit subtil. La défaite du Zaïani déliait enfin la langue d’un délateur, qui avait sans doute quelque déception à venger. La joie de Merton fut grande. Il tenait le premier anneau de la chaîne et comptait bien aller jusqu’au bout. Frappés ainsi dans leurs biens, les Bou-Acheria seraient tôt ou tard obligés de capituler.

Il avait deviné juste ; presque chaque soir, il apprenait maintenant l’existence, dans quelque douar voisin du poste, d’un lot de bœufs, de chameaux, de chèvres ou de moutons, dont la capture s’effectuait selon un rite immuable. Au point du jour, un officier du goum cernait avec quelques cavaliers le douar signalé. Il convoquait le cheikh et les notables et, après un bref entretien, le gardien du troupeau, sûr de l’impunité, livrait de bonne grâce le dépôt qui lui était confié. D’accord avec Imbert, Merton en réservait une bonne part au délateur pour exciter la cupidité ambiante ; avec le reste, il dédommageait peu à peu tous ceux qui avaient droit à sa sollicitude : parens de goumiers tués, partisans blessés, victimes d’injustices anciennes, de razzias, d’attentats perpétrés en haine des Français dont ils avaient adopté le parti.

Cette tactique ne tarda pas à produire le résultat prévu. : Un émissaire arriva au poste pour attester le prochain repentir des Bou-Acheria ; mais comme on chuchotait dans les douars que les trois frères sollicitaient aussi, pour se rendre inviolables, la qualité de protégés allemands, — qui d’ailleurs leur fut refusée, — la confiscation de leurs bestiaux continua, plus fructueuse que jamais. Un soir, la figure rayonnante, Merton aborda Imbert : « On me propose un joli coup de filet... mais c’est bien loin. » Et il raconta qu’un troupeau de plus de 400 têtes était en dépôt