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indemnes, mais comiquement vantards, ils faisaient un gaspillage de munitions qu’Imbert jugeait avec sévérité : « C’est à croire qu’ils les vendent ! » s’exclamait-il chaque soir quand les caïds montraient leurs sacoches vides et leurs chevaux ruisselans. Parfois, cependant, ils lui donnaient des preuves indiscutables de leur adresse et de leur fidélité. Alors, un cortège animé annonçait de loin la capture de quelque ennemi surpris en vedette ou en maraude sur un piton ou dans un ravin. Et comme ils se doutaient du sort réservé par Imbert à ces prisonniers, on pouvait admettre que les Zaër du secteur avaient, sans arrière-pensée, « coupé les ponts » entre eux et leurs anciens alliés.

Quinze jours se passèrent ainsi. Les silos des dissidens, d’où Merton tirait l’orge qui nourrissait les chevaux des partisans étaient près de s’épuiser. Le budget du secteur ne prévoyait pas l’entretien de toute cette cavalerie : « Ils sont trop ! » disait Merton, qui décida Imbert à congédier les contingens des quatre tribus les plus éloignées. Malgré les pronostics pessimistes de Pointis et de quelques officiers, aucun fusil ne manquait à l’appel quand les partisans furent désarmés. L’expérience était donc concluante. Elle avait aussi pour résultat d’augmenter les hésitations des chefs ennemis. Figés sur leurs campemens, ils ne savaient plus comment sortir à leur honneur de l’aventure où ils s’étaient engagés.

Un soir, Djilali, caïd des Ouled-Moussa dont les territoires s’étendaient théoriquement jusqu’au Grou, vint causer en secret avec Merton : « Moha-ou-Ammou, lui dit-il, a fait installer des Aït-Raho qui sont Zaïan sur nos pâturages de l’Oued Chettba qu’il leur a donnés ; il leur a promis de les protéger en cas d’attaque ! — Tu en es sûr ? demanda Merton abasourdi. — Oui. Un de mes hommes a vu aujourd’hui les tentes et les troupeaux à Sebba-Aouinet... » Merton questionna le caïd et courut prévevenir Imbert. La nouvelle était en effet importante, car la présence de douars ennemis sur la rive gauche du Grou infligeait un affront au chef du poste de Sidi-Kaddour, qui avait maintes fois garanti à ses administrés l’inviolabilité du pays zaër.

Imbert consulta la carte et médita longuement. Le lieu indiqué était un labyrinthe de gorges rocheuses, à 18 kilomètres de Sidi-Kaddour : « C’est probablement un piège que nous tend le Zaïani, suggéra Merton. Il compte nous attirer par cet appât