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leurs vêtemens, les deux morts gisaient rigides et sanglans : les Ouled Moussa les avaient apportés en témoignage de leurs exploits. Accroupi près d’eux et solidement garrotté, le prisonnier s’efforçait de paraître impassible, mais roulait des yeux inquiets. Dans un rapide interrogatoire il mit l’échauffourée sur le compte d’une partie de chasse qui avait entraîné les fils de son maître hors du territoire des Aït-Raho ; la tentation offerte par le troupeau avait paru trop forte à des chasseurs malchanceux : « Tout cela n’est pas bien clair, murmura Merton rendu soucieux par cette aventure où il voyait un mauvais présage. — Certes, acquiesça Imbert. Cette offensive insolite doit avoir un motif que nous ignorons. Mais avant de parler politique, débarrassons-nous de tous ces braillards. »

Les propriétaires du troupeau razzié se lamentaient. Imbert les apaisa par le don des deux morts que leurs parens ne manqueraient pas de racheter fort cher. Il distribua les autres trophées entre les plus vaillans des Ouled Moussa ; malgré les indignations naïves de Pointis, le khalifa de la tribu obtint l’esclave qui le suivit avec une passivité d’animal. Pendant ce temps, Merton questionnait des informateurs imprécis et bavards que l’appât d’une récompense faisait affluer. Du chaos de leurs récits il tirait un résumé vraisemblable : pour punir les Français d’avoir abreuvé leurs chevaux dans le Grou, le Zaïani voulait brûler leur poste et piller les douars des lâches Zaër ; il viendrait camper le lendemain avec toutes ses forces à l’Oldjet-bou-Kremis où devaient le rejoindre les dissidens.

« Qu’en pensez-vous, Merton ? demanda Imbert sceptique. — Hé ! c’est bien possible ! Les labours sont terminés, les semailles sont faites. Pour se distraire en attendant la récolte, les Marocains ont coutume de batailler. Les dissidens ont dû convaincre les Zaïan et lier de nouveau partie avec eux. Tous font bloc pour forcer par la terreur nos tribus à la révolte. — Vous croyez donc à l’invasion prochaine du secteur ? — Elle est probable, à moins que Moha-ou-Ammou ne préfère rester dans une position d’attente pour ne pas compromettre son prestige en s’engageant à fond. Les intrigues des dissidens, appuyées sur la présence de sa mehallah, exerceraient une pression morale sur nos partisans qu’ils espèrent décider à la défection. » Imbert réfléchit : « D’abord, reprit-il, nous serons demain à l’Oldjet-bou-Kremis avant eux ; s’ils y viennent, la promenade leur