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en faciles chemins : c’étaient les prestataires du secteur qui, trop pauvres pour payer leur contribution de guerre, donnaient en échange des journées de travail. A la transaction s’était affirmé l’esprit inventif de Merton. Aux scrupules d’Imbert il avait opposé un : « Essayons toujours ! « victorieux.

Mais c’était l’infirmerie indigène qui donnait la plus sûre preuve de l’adhésion des tribus au nouveau régime politique des Zaër. Imbert l’avait hâtivement installée en dehors du poste, entre deux gros rochers. Le médecin de la garnison y prenait au sérieux le rôle de missionnaire laïque auquel des circulaires prévoyantes le conviaient. Avec une patience, un dévouement de sœur de charité, il réduisait des fractures, pansait des plaies immondes, taillait dans les chairs malsaines sans s’émouvoir de la vermine grouillante, des haillons sordides, des odeurs infectes de ses bénévoles cliens. Ils venaient en foule, et de loin, chaque semaine plus nombreux, et les tentes de « l’Assistance médicale » faisaient songer à quelque musée des horreurs. De toutes ces ruines humaines dues à la misère physiologique, aux hérédités redoutables, au charlatanisme des sorciers, les victimes des combats offerts naguère à la colonne des Zaër étaient les plus pitoyables. Ils avaient longtemps caché dans leurs douars, par crainte de terribles vengeances, des blessures que le temps et l’ignorance rendaient vite épouvantables. La générosité des vainqueurs, la réputation du « toubib » établie sur des cures impressionnantes avaient fini par dissiper leurs préventions. Ils s’habituaient à prendre le chemin de l’Infirmerie indigène d’où ils sortaient souvent guéris et toujours soulagés. Les complimens chevaleresques des officiers flattaient en outre leur vanité de guerriers, et la cause française n’avait oas chez les Zaër de plus dévoués partisans.

Pointis avait diligemment profilé de cette rapide évolution des esprits. Il avait visité les districts les plus éloignés du secteur et, toujours bien accueilli dans les douars, il avait terminé l’enquête économique à laquelle il s’était voué. Ses notes de toute nature formaient un dossier respectable dont les prudentes conclusions froissaient aussi bien les enthousiastes que les adversaires de l’affaire marocaine, qui partageait les officiers du poste en deux camps à peu près égaux.

« Je quitterai Sidi-Kaddour par le prochain convoi, car je n’ai plus rien à faire ici. Je n’ai même plus à espérer l’imprévu,