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siège d’Orléans, conduit et fait sacrer son roi à Reims, et, malgré son emprisonnement, malgré sa mort, « bouté les Anglais hors de France, » changé le cours de l’histoire de son pays, et même, M. Hanotaux l’a bien montré, de l’Histoire universelle ? Oui ou non, est-ce Jeanne d’Arc qui a fait cela ? Et si c’est elle, et non pas une autre, voilà ce qui est, — ne disons pas surnaturel, pour ne rien préjuger, — mais extraordinaire, mais « hors de l’ordre commun, » mais véritablement unique. ! Ce qui est extraordinaire, c’est, d’une part, l’uniciié du cas de Jeanne d’Arc ; et ce qui est extraordinaire, c’est, d’autre part, la disproportion qui existe entre la personne de l’héroïne et la grandeur de son œuvre. En présence d’un cas comme celui de Jeanne d’Arc, il faut ou admettre les raisons d’ordre « surnaturel » que Jeanne donnait elle-même de son rôle et de sa mission, — et pourquoi son propre témoignage sur elle-même ne serait-il pas aussi recevable que celui de M. France ? — ou s’incliner devant le mystère, et dire tout simplement : « Je ne comprends pas. » Toute autre attitude de pensée me paraît assez peu philosophique. Quand, non content de nier le mystère, on prétend encore et surtout l’expliquer, on peut, autant qu’on le voudra, écrire une Vie de Voltaire ; on n’écrit pas une Vie de Jeanne d’Arc.


IV

Nous nous sommes jusqu’ici prêté, aussi complaisamment que nous l’avons pu, à cet art savant, ingénieux, fertile en ressources, à cette pensée subtile, et un peu fuyante, qui charme et déconcerte tout ensemble. Le moment est venu d’immobiliser en quelque sorte notre modèle, de tâcher de préciser et de fixer les traits qui composeront son image dans la mémoire de ses futurs lecteurs. Son œuvre n’est assurément point achevée : telle qu’elle est pourtant, elle est très suffisamment complète, et il n’est guère probable qu’elle nous réserve à l’avenir beaucoup d’imprévu.

Un artiste : c’est, je crois, le premier mot qui vient à l’esprit ou sous la plume, quand, après avoir lu les trente et quelques volumes de M. France, on essaie de traduire l’impression qu’il nous laisse. Un artiste qui n’est point complet, auquel il manque, dans tous les genres où il s’est exercé, la grande originalité