Page:Revue des Deux Mondes - 1913 - tome 18.djvu/618

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

d’excellent qu’il n’aimait pas du tout les prouesses et qu’il n’était ni ne pouvait être de ces chevalereux qui faisaient la guerre en beauté[1]. « On pourrait multiplier les exemples. Peut-être était-il imprudent de faire tant de sacrifices à l’unité de ton et de langue, et de s’en vanter, alors qu’en fait on la respecte si rarement.

Discutable comme œuvre d’art, malgré de fort belles parties, la Vie de Jeanne d’Arc a-t-elle, au point de vue historique, toute la haute et durable valeur que l’on pourrait souhaiter ? A en croire M. France, il aurait tout fait pour qu’il en fût ainsi. Etude directe de toutes les sources imprimées, de tous les documens ou travaux de détail publiés ultérieurement, voyages, vision personnelle de tout ce qui, — miniatures, images peintes ou taillées, monumens, meubles, costumes, objets divers, — nous reste de ces âges disparus, l’historien n’aurait rien négligé pour que son enquête fût aussi complète que possible, pour faire œuvre non seulement « très honnête, » mais impartiale, impersonnelle et objective : « Je crois, nous dit-il, qu’au risque de ne point montrer toute la beauté de son cœur, il vaut mieux ne pas paraître dans les affaires qu’on raconte. J’ai écrit cette histoire avec un zèle ardent et tranquille ; j’ai cherché la vérité sans mollesse, je l’ai rencontrée sans peur. Alors même qu’elle prenait un visage étrange, je ne me suis pas détourné d’elle[2]. » Ce sont là de bien belles déclarations, et Dieu veuille qu’elles soient justifiées !

Si l’on en croyait M. France, elles le seraient pleinement. Dans une Préface de 1909, — Préface où il y a beaucoup d’ironie, et un peu d’aigreur, — il nous affirme que ses plus sévères censeurs « n’ont pu découvrir dans son œuvre aucune erreur grave, aucune inexactitude flagrante. » « Il a fallu, ajoute-t-il, que leur sévérité se contentât de quelques inadvertances et de quelques fautes d’impression. » M. France se vante un peu. Si je pouvais résumer ici tous les articles critiques dont sa Vie de Jeanne d’Arc a été l’objet, et qui n’ont pas tous pour auteurs des « hagiographes, » comme il le dit dédaigneusement, on verrait qu’il y a dans son information plus de lacunes, et dans ses interprétations plus d’erreurs graves, plus

  1. Vie de Jeanne d’Arc, t. I, p. 171.
  2. Id. ibid. p. LXXXI.