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arrêté l’Histoire contemporaine, — qui pouvait se prolonger aussi longtemps que celle des Rougon-Macquart, — pour nous donner plusieurs volumes de contes et de romans. Les recueils de contes s’intitulent : Clio (1900), Crainquebille, Putois, JRiquet, et autres récits profitables (1904), Sur la pierre blanche (1905), les Contes de Jacques Tournebroche (1908), les Sept femmes de la Barbe-Bleue ‘1909). De tous ces contes et du conteur on dirait volontiers ce qu’il dit lui-même d’un de ses personnages épisodiques, le joyeux Jeronimo : « Il parlait abondamment, joyeusement, richement, lançait des propos en l’air, enfilait des histoires, les unes excellentes, les autres moins bonnes, mais qui faisaient rire[1]. » Quelques-unes, en effet, sont « moins bonnes, » et pour écrire les Grandes manœuvres à Montil, ou Emile, il n’est point nécessaire de s’appeler M. Anatole France. D’autres sont des rognures, ou même des extraits de l’Histoire contemporaine. D’autres sont un peu grasses, et d’autres un peu bien longues. D’autres ont un peu trop l’air de pastiches scolaires. D’autres sont gâtées par toute sorte d’allusions politiques, et d’autres enfin le sont par ce ton sournois de raillerie irréligieuse que l’auteur de Gallion et du Procurateur de Judée a mêlé à tant de ses récits. Sur ce dernier point d’ailleurs, M. France s’est d’avance condamné lui-même, et il n’y a qu’à lui rappeler ce qu’il écrivait jadis en tête des Noces corinthiennes : « C’eût été trop manquer du sens de l’harmonie que de traiter sans piété ce qui est pieux. Je porte aux choses saintes un respect sincère. » Le respect s’est évaporé, — c’est du reste une question de savoir s’il a jamais été sinon « sincère, » du moins profond, — et le sens de l’harmonie, et le goût en même temps. Mais le talent de style n’a point baissé, et je sais peu d’écrivains qui aient aussi bien su, en quelques lignes, parfois en une phrase, faire tenir tout un tableau, étonnant de précision pittoresque et d’ampleur suggestive :


Le soleil, descendu derrière le Capitole, frappait de ses dernières flèches l’arc triomphal de Titus sur la haute Vélia. Le ciel, où nageait à l’Occident la lune blanche, restait bleu comme au milieu du jour. Une ombre égale, tranquille et claire emplissait le Forum silencieux. Les terrassiers bronzés piochaient ce champ de pierres, tandis que, poursuivant le travail des vieux rois, leurs camarades tournaient la roue d’un puits pour tirer l’eau qui mouille

  1. Les Sept femmes de la Barbe-Bleue, p. 206.