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contradictions dont fourmille son œuvre, oserai-je le dire ? il me semble qu’au fond, tout au fond, il n’a guère changé. Assurément, et nous l’avons assez dit, pendant une certaine période de sa vie, sous diverses influences, à tout prendre heureuses, il a essayé, sinon de s’oublier, au moins de se dépasser lui-même, et il y a, du reste, assez bien réussi. Il a, de propos, je crois, très délibéré, laissé dans l’ombre, et peut-être comprimé, certains côtés moins heureux de sa nature ; il en a développé d’autres, plus superficiels, si je ne m’abuse, et il s’est ouvert, ou il a paru s’ouvrir à certaines idées, à certaines préoccupations sur lesquelles s’exerçait sa prestigieuse virtuosité, mais qu’en secret son tempérament répudiait. Même alors, d’ailleurs, ce tempérament perçait quelquefois, et nous avons eu à en noter les saillies inattendues. Et ce tempérament, tel qu’il s’est révélé à nous dès ses premiers écrits, c’est celui d’un fils du XVIIIe siècle, ennemi né de toute autorité morale ou sociale et surtout religieuse, jaloux de toute atteinte portée au libre développement de l’instinct individuel. On l’a bien vu, lorsque, à propos du Disciple, M. France a pu croire qu’on allait laisser mettre en discussion le droit, selon lui, imprescriptible, qu’a tout homme qui pense d’aller jusqu’au bout de sa pensée et de l’exprimer librement. L’esprit du XVIIIe siècle, ainsi réchauffé et provoqué chez l’auteur de Thaïs, allait désormais circuler ouvertement dans tous ses livres, et la Rôtisserie, le Lys Rouge, les Opinions de Jérôme Coignard ne nous prêchent assurément pas le respect des disciplines sociales. Survient l’Affaire, et le vent de folie qu’elle déchaîna non seulement sur la France, mais sur l’Europe entière. M. France s’imagina que les temps de la Ligue et de l’Inquisition allaient revenir : il vit rouge, — ou noir, comme on voudra : l’auteur des Légions de Varus, de Denys, tyran de Syracuse, l’adversaire du régime impérial, l’ennemi personnel des « prétoriens » se réveilla plus jeune et plus ardent que jamais, et par la parole ou par la plume, il « sauva la République ; » il a continué depuis. L’esprit de « grand’maman Nozière, » qui veillait toujours en M. France, a définitivement supplanté toutes les influences contraires. Et si l’on veut connaître l’origine, l’une des origines tout au moins du farouche anticléricalisme qu’il a déployé en tant de circonstances récentes, peut-être faut-il se reporter à une page de l’Orme du mail où l’écrivain nous conte la façon dont M. l’abbé Lantaigne s’y prit pour renvoyer