Page:Revue des Deux Mondes - 1913 - tome 18.djvu/599

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

journal français, mais dans une Revue anglaise[1], un gouvernement dont le seul crime est d’avoir fait un peu d’apaisement et d’avoir pris l’initiative d’une loi de sécurité nationale, c’est avoir sur les intérêts supérieurs de son pays des idées un peu bien particulières. En vérité, est-ce la peine d’être l’un des premiers écrivains de son temps, pour en venir à ces étranges excès de langage ?

Ce n’est pas que le rare écrivain ne se retrouve encore quelquefois dans ces sermons laïques, — et très laïques. Vous ne le reconnaîtriez certainement pas dans l’homme qui nous représente Spuller « vieux, fatigué, gras » et « soufflant dans les bureaux des Cultes un esprit qu’il appelait l’esprit nouveau[2], » ou qui nous montre le nationalisme « ratant le coup du catafalque[3] ; » mais si vous persistez à préférer la Prière sur l’Acropole au discours de M. France à Tréguier, vous avouerez pourtant que les paroles de Pallas Athéné à Renan, dans ce dernier discours, sont, en leur genre, une assez belle chose. Seulement, pourquoi faut-il qu’à chaque instant la phraséologie radicale ou socialiste vienne alourdir et gâter les développemens les plus littéraires ? Le « cléricalisme, » la « réaction, » le » prolétariat, » les « préjugés, » la « superstition, » « pas d’ennemis à gauche, » toutes les formules usées, tous les clichés connus reviennent dans ces homélies à l’usage des « citoyennes et citoyens » réunis pour flétrir le « tsarisme, » la politique coloniale, la guerre et tous les innombrables fléaux qui désolent l’humanité, depuis qu’il y a des hommes et des sociétés constituées. Et quand, parfois, au bas de ces manifestes, on lit : « Salut et fraternité, » on a l’illusion qu’ils sont signés non pas Anatole France, mais Évariste Gamelin.

Si maintenant l’on va au fond des choses, et que, parmi ces violences et ces déclamations électorales, on essaie de saisir et de classer les quelques idées qui les inspirent, on est un peu effrayé et humilié du caractère étrangement simpliste de la philosophie qu’elles recouvrent. Deux partis, deux camps dans l’humanité : d’un côté, les partisans aveugles, féroces ou perfides du passé ; de l’autre, les ouvriers généreux, purs, ardens,

  1. Lettre aux Jeunesses laïques, dans l’Humanité du 4 septembre 1913. — Cf. Pour la paix (The English Review, août 1913).
  2. L’Église et la République, p. 31.
  3. Vers les temps meilleurs, t. I, p. 69.