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évertuons à découvrir dans la poussière des musées ou des bibliothèques, elle est là tout près de nous, vivante dans l’âme vivante des Espagnols d’aujourd’hui, qui perpétuent, sous d’autres apparences et dans des conditions nouvelles, le geste des ancêtres. Bien plus, l’Espagnol agissant d’aujourd’hui m’aide à comprendre le contemporain de Philippe II. Je n’ai commencé à voir bien clair dans la psychologie d’un Bernal Diaz, ce vaillant hidalgo qui suivit Cortez au Mexique, qu’après avoir suivi moi-même, dans le Sud algérien, les convois de routiers valenciens et castillans, qui ravitaillent nos postes-frontières. Tout récemment encore, mes souvenirs coloniaux me permettaient de placer dans sa vraie lumière la figure brutale et cynique d’un Alonso de Contreras, cet aventurier, qui nous a laissé de si étonnans mémoires. Et c’est seulement le jour où, visitant l’Oranie, je tombais à Saint-Denis-du-Sig, en pleine fourmilière espagnole, que je me suis expliqué la rapacité souvent inintelligente et aussi l’héroïsme sauvage des antiques Conquérans de l’or...


L’Espagne actuelle nous offre donc, comme celle du passé, de très riches et très abondans sujets. De grâce, n’allons point la regarder, sinon par aventure, de la portière d’un sleeping, du balcon d’un palace, ou des gradins de la Plaza de toros. Elle a mieux à nous donner que de petits émois artificiels devant les jeux tragiques de l’amour et du couteau. Voyons-y plutôt, — et cela nous fera du bien, — un peuple, dont l’énergie morale est restée intacte, qui n’est gâté par aucune littérature et qui n’est point amolli par le bien-être, dont le cerveau est sain et les muscles solides, qui se jette ardemment au travail et au gain partout où il trouve à employer ses bras, et qui, le jour venu, sera prêt, pour courir encore les plus hardies équipées.


LOUIS BERTRAND