Page:Revue des Deux Mondes - 1913 - tome 18.djvu/589

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

poètes d’intimité refleurissent. Au contraire, aux époques de renouveau, de fougue et d’énergie créatrices, de grandes illusions aussi, nous nous empressons de franchir nos frontières. Et c’est toujours vers le Midi que nous nous tournons, vers l’Espagne et vers l’Italie, comme les terres élues de la passion et de la beauté. Le Nord ne vaut rien pour notre tempéraments Après une brève excursion dans les brumes, nous revenons bien vite au soleil et au sourire de la Méditerranée.

Notre première Renaissance, — celle d’avant Ronsard, — est presque toute italienne. Corneille et ses contemporains sont volontiers espagnols. Chez les romantiques surtout, cette prédilection est manifeste. Quoi qu’on en ait pu croire d’abord, ils doivent très peu aux littératures septentrionales, que, d’ailleurs, ils connaissaient mal. Hugo attribuait à Gœthe Les Brigands de Schiller. (Peut-être qu’il le faisait exprès.) A part Vigny et Sainte-Beuve, qui pouvaient déchiffrer une page d’anglais, Gérard de Nerval, qui savait l’allemand, ils n’ont qu’entrevu les littératures allemande et anglaise à travers des commentaires et des traductions. Sans doute, ils ignoraient presque autant celles du Midi. Mais l’air du pays leur était familier. Ils y avaient voyagé et séjourné longuement. Ils l’aimaient, ils l’admiraient, ; Spontanément, leurs méditations ou leurs harmonies poétiques y trouvaient leur cadre approprié. Et ils n’en voyaient guère d’autre pour leurs contes ou leurs drames. La passion et la beauté, telles qu’ils les concevaient, devaient être habillées à l’espagnole, ou à l’italienne, se déployer dans les solitudes de la sierra, les splendeurs d’un palais vénitien ou toscan.

Récemment encore, après la période de dépression qui succéda au naturalisme, lorsque nous sentîmes la nécessité de nous laver d’un prosaïsme grossier, et, comme on dit, de restaurer la notion de l’individu, à peu près anéantie par l’école de Zola, — de l’individu volontaire, agissant et passionné, — c’est aussi de l’autre côté des Monts que nous dirigeâmes nos regards. De même que Victor Cousin parlait pour l’Allemagne faire une remonte d’idées, nous fûmes en Espagne faire noire remonte de couleur et d’énergie. M. Maurice Barrès donna satisfaction à ce besoin, si l’on peut dire, national. Je me souviens avec quelles délices nous lûmes, vers 1893, son Amateur d’âmes, ce petit livre si gros de conséquences littéraires et qui, à travers quelques préciosités de forme et de sentiment, renouait la