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l’hôtel ou il avait déjà installé Mme de Rodde. La grosse Allemande, dont Mme de Staël n’était pas « parvenue à percer les charmes, » ne voyait probablement pas sans quelque inquiétude la fascination que la société de Mme de Staël exerçait sur Villers. Elle n’assistait pas à leurs conversations qui souvent dégénéraient en discussions. Mme de Rodde n’avait point l’habitude de discuter avec Villers, pour lequel elle nourrissait une admiration un peu esclave. Cette admiration inspirait quelque impatience à Mme de Staël. Elle écrivait à Jacobi :

Villers, qui est très aimable et très spirituel, passe sa vie avec une grosse Allemande, Mme Rodde, qui a pour lui une admiration sans perspective, où tout est sur le même plan, comme dans les anciennes peintures, et quand on veut nuancer des observations, il croit qu’on est une frivole Française ; tout lui paraît léger et superficiel à côté de sa bonne petite lapine[1].

À Metz, Villers avait retrouvé de plus cette Mme Anthoine auprès de laquelle il avait joué autrefois, avec tant de conviction, les rôles d’amoureux quand il était un brillant officier à Besançon et dont le mari avait poursuivi Villers de sa rancune. Depuis lors, elle était devenue veuve de ce mari ; le souvenir de quelques propos tenus par Villers lui avait fait croire que, le jour où elle serait libre, il lui proposerait mariage. Il n’en fit rien ; Mme Anthoine dissimulait mal son dépit sous les dehors d’une dignité froide et calme, tandis que Mme de Rodde ne pouvait contenir les manifestations de sa jalousie[2]. Entre la rancune de Mme Anthoine, l’agitation de Mme de Rodde et l’amitié un peu exigeante de Mme de Staël, Villers ne devait pas se sentir tous les jours à l’aise. Il se tira d’embarras en annonçant l’intention de poursuivre sa route vers Paris ; Mme de Staël, de son côté, n’avait guère de raison pour ne pas poursuivre sa route vers l’Allemagne. La veille de son départ, elle renvoyait à Villers des manuscrits que celui-ci lui avait confiés et elle ajoutait ces mots : « Ne vous donnez pas la peine de m’écrire ce matin, et seulement venez me voir de bonne heure, parce que, pour le

  1. Louis Wittmer, op. cit. p. 188.
  2. Ces piquans détails sont rapportés dans une plaquette qui a pour titre : Villers, Mme de Rodde et Mme de Staël. Metz. 1838, p. 41. L’auteur de cette plaquette M. Begin, est un Messin qui a recueilli des traditions locales. Mais son témoignage ne mérite pas une confiance absolue, car il est tombé dans certaines erreurs, et il a recueilli des commérages relatifs à un projet de mariage entre Mme de Staël et Villers dont il n’a jamais été question.