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La lettre de Carlsruhe était une réponse à une demande d’audience que Mme de Staël avait adressée à Gustave IV par l’intermédiaire de d’Armfelt. Le roi de Suède était alors à la cour de son beau-père l’électeur de Bade. Mme de Staël était veuve d’un ancien ambassadeur de Suède. Quelle que fût sa nationalité à elle, son fils était incontestablement Suédois. Les gazettes allemandes annonçaient toutes sa prochaine arrivée. Il ne me semble donc pas qu’elle ait eu tort, bien qu’elle se le reprochât, de penser qu’il y aurait eu de sa part peu de convenance à paraître ignorer la présence de Gustave IV à la cour de Bade et à ne pas profiter de la circonstance pour lui présenter son fils. Mais la réponse de d’Armfelt n’était guère encourageante.

Chaque gentilhomme, écrivait-il à Mme de Staël, chaque sujet suédois a le droit d’être présenté à son souverain dès qu’il est en âge de lui servir ou de lui offrir ses services. Monsieur votre fils n’a pas encore atteint cet âge, et si Sa Majesté voulait faire une exception aux règles établies, elle se trouve dans ce moment à la cour d’un prince où l’étiquette est bien plus sévère qu’en Suède.

D’Armfelt s’efforçait, dans la suite de la lettre, d’atténuer ce que le début avait de peu satisfaisant ;

C’est moi, Madame, qui suis aux regrets de ce contre-temps qui me prive de l’honneur de vous faire ma cour. Quand une fois on a eu l’avantage de jouir de votre société, on ne se console pas aisément d’une privation motivée par des causes pareilles. Le Roi m’a chargé de vous dire qu’il sera charmé de voir un jour. Messieurs vos fils en Suède si leur intention est d’y trouver une patrie[1].

De quelques circonlocutions que d’Armfelt enveloppât ce refus, il était évident que Mme de Staël ne pouvait guère à l’avenir, ni pour elle, ni pour ses enfans, compter sur la bienveillance du jeune souverain qui du reste, engagé fort avant dans la Coalition, ne devait pas avoir oublié que, sous la régence du duc de Sudermanie, M. de Staël avait autrefois représenté le parti français et compromis la Suède avec la Révolution. Sa situation était douloureuse. La patrie de son cœur et de son choix semblait à la veille de se fermer pour elle ; celle de son mari et de ses enfans ne voulait point s’ouvrir. C’était une raison de plus

  1. Archives de Coppet. Mme de Staël avait connu d’Armfelt à Paris.