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dramatiques de Gœthe a et la dernière pièce de Schiller intitulée : Wallstein. » Elle s’inquiète en même temps de savoir ce qu’en Allemagne on pense de son ouvrage sur la Littérature. « Le duc de Brunswick, écrit-elle, dit des biens infinis de mon ouvrage. Toute démocrate que je sois, cela m’a fait plaisir. Ne vous en est-il rien revenu d’Allemagne et savez-vous si l’on le traduit ? Je voudrais qu’il le fût sur la seconde édition. »

D’où vient ce changement dans les dispositions de Mme de Staël, cette ardeur après ce dédain ? On a voulu voir dans sa prédilection pour la littérature des peuples, du Nord je ne sais quel mystère atavique. On a rappelé que les Necker étaient d’origine, d’abord irlandaise, puis allemande, et que le grand-père de Mme de Staël était né à Custrin sur les bords de la mer Baltique. Je ne crois pas qu’il faille aller chercher si loin d’aussi obscures raisons. C’est bien plutôt que, depuis deux ou trois ans, un vent venant d’Allemagne avait soufflé sur la France et que les relations littéraires des deux pays avaient changé. Ils avaient cessé de s’ignorer. Nombre de Français qui, durant les années orageuses de la Révolution et du Directoire, avaient dû chercher un refuge en Allemagne rentraient peu à peu en France. Parmi eux figuraient un certain nombre d’amis de Mme de Staël : Suard, Chênedollé, Gérando, Camille Jordan, qui formaient précisément sa société intime, sans parler de Benjamin Constant, qui y avait vécu et s’y était même marié dans sa jeunesse. Elle était liée également avec Adrien de Lezay, pour lequel elle faisait venir le Don Carlos de Schiller, dont Lezay publiait une traduction en l’an VIII. Les rares Allemands qui séjournaient à Paris fréquentaient ce petit groupe, entre autres Jacobi et Guillaume de Humboldt qu’elle devait retrouver plus tard à Rome et qui s’offrit à lui donner quelques leçons d’allemand. On parlait souvent de l’Allemagne, qui n’était déjà plus l’Allemagne féodale et princière d’autrefois, où les idées nouvelles, issues de la Révolution française, avaient fait peu à peu leur chemin, portées en partie au delà du Rhin par nos soldats, car les idées cheminent souvent avec les armées, où la période qu’on a appelée Sturm und Drang, la période d’orage, avait préparé l’émancipation des esprits. Cette période d’orage ne pouvait manquer d’intéresser Mme de Staël, qu’à cette même époque, dans sa correspondance intime avec Mme de Beaumont, Joubert appelait souvent « le tourbillon. » Sa curiosité et son imagination étaient ainsi