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assez qu’il y a dans votre administration des ennemis terribles des églises et que certains de vos préfets voudraient les voir par terre. Il faut nous expliquer. Les difficultés relatives aux réparations sont immenses. Une grave lacune existe dans notre législation en ce qui concerne les églises non classées. Je ne fais pas ici de politique, ou plutôt je vous invite à une politique supérieure à toutes les querelles de partis. Je vous parle de civilisation. Aujourd’hui, dans leurs églises, les catholiques sont, d’après votre mot saisissant, de « simples occupans sans titre ; » les monumens religieux sont livrés au bon vouloir des municipalités. Parmi celles-ci, il en est que la passion politique la plus dégradante a amenées au désir d’abattre ce qu’elles considèrent comme des reliques du fanatisme. Que pensez-vous faire pour protéger ces hautes expressions de la spiritualité française ? Quelles mesures de défense prendrez-vous contre ces nouveaux barbares qui, hier, dans les rues de Grisy, au sortir de l’encan, traînaient au ruisseau le drap des morts ?


En somme, M. Briand ne m’explique rien. Mais peut-être les lettres publiques se prêtent-elles mal à des explications complètes. Je vais aller causer avec lui.


III
JE CAUSE AVEC M. BRIAND

Il est sept heures du soir. Les deux salles d’attente au rez-de-chaussée de l’hôtel Beauvau sont désertes, assez tristement éclairées. L’huissier avertit le ministre qui m’ouvre aussitôt la porte de son cabinet, me fait asseoir au coin de son bureau, en face d’un grand feu de bois, m’offre une cigarette, allume la sienne et nous causons.

M. Briand aime à causer ; il aime et il excelle à créer une atmosphère de détente où il puisse se servir de son don principal qui est la persuasion. Se promener de long en large, en fumant et en répétant : « Ecoutez-moi bien... Je ne vous dis pas... Eh bien ! alors vous m’avez suivi... Ah ! je vous comprends... vous vous êtes dit... vous êtes justement préoccupé... » Voilà son affaire, et, m’a-t-on dit, son principal travail.