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municipal non plus. Quand les murs de l’église se lézarderont, les statues cultuelles seront évacuées dans un trésor de cathédrale et les colonnes, les bas-reliefs, le vitrail « dans un lieu public national. » C’est la loi. Pressons-nous de jouir des dernières heures de Gugney.

Durant l’automne, je suis revenu, plusieurs fois, auprès de cette beauté qui va mourir. Quand ce pays solitaire est noyé sous des nuances de tourterelle, c’est une féerie qu’un rayon du soleil d’octobre illuminant soudain les vergers et les herbages. J’aime la paix, le silence, la tristesse de ce village, où bruissent les noyers sous le vent. Je puis prier les images de son église. Il n’est pas nécessaire de posséder une foi parfaite pour prendre un plaisir de vénération devant l’image sereine de la foi. C’est ainsi qu’un méchant, lui-même, goûterait la douceur d’une bonne action accomplie sous ses yeux. La sainte Claire de Gugney me ramène dans un étroit horizon, le mien, et mon esprit refoulé s’élève d’autant mieux vers le ciel. Je me livre aux immenses mouvemens doux de la terre lorraine, je contemple ses villages égayés d’arbres à fruits, ses petits bois de hêtres, de charmes et de chênes, je m’enivre de sa lumière douce et noble qui met sur les premiers plans des couleurs de mirabelle et, sur les lointains, un mystère d’opale, de jeunesse et de silence. Je distingue dans la prairie les éphémères colchiques violets, dans la plaine les graves villages séculaires et, sur l’horizon, nos déesses, nos vertus lorraines. Prudence, Loyauté, Finesse, qui sont des personnes immortelles.

Les lois de notre esprit ne vont pas se modifier pour suivre les caprices des législateurs. En vain, deux équipes s’acharnent sur notre Lorraine : à l’Est, des Prussiens qui détruisent notre langue ; à l’Ouest, des païens du Midi qui veulent détruire notre religion, c’est-à-dire le langage de notre sensibilité. Ni les uns ni les autres ne peuvent sous leurs semelles user notre terre : elle produira toujours une aspiration, un enthousiasme qui veut être discipliné. Quand les clochers seront effondrés et les statues saintes exilées auprès des Dianes et des Mercures gallo-romains dans les salles poussiéreuses de nos musées départementaux, une génération surgira, qui voudra relever les temples de l’âme dans nos villages français.


Je suis obsédé de ce péril des églises. Nous préoccupons-nous